Afrique - Les cigarettiers visent les pays du Sud (07/06/2012)


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 Les cigarettiers visent les pays du Sud (07/06/2012)

À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, célébrée mercredi 30 mai, l’OMS a choisi de prendre pour cible les cigarettiers et de dénoncer leurs « agissements éhontés et toujours plus agressifs ». Un choix judicieux pour de nombreux responsables sanitaires inquiets de la volonté des multinationales de trouver de nouveaux marchés dans les pays du Sud.

Repli vers l’Asie et l’Afrique
« Depuis une vingtaine d’années, cette industrie est confrontée à des législations anti tabac de plus en plus contraignantes dans les pays occidentaux. Elle s’est donc tournée vers d’autres marchés : d’abord, ceux prometteurs des pays émergents, notamment en Asie. Mais, depuis une dizaine d’années, elle est aussi de plus en plus présente dans les pays en voie de développement, en particulier en Afrique », explique Gérard Dubois, professeur de santé publique au CHU d’Amiens.
Cette évolution préoccupe l’OMS : si les tendances actuelles se maintiennent, d’ici à 2030, le tabac tuera chaque année 8 millions de personnes dans le monde, dont 80 % dans des pays à revenu faible ou moyen.
Aujourd’hui, il est difficile de connaître avec précision les niveaux de consommation du tabac en Afrique. « On manque de données solides. Mais globalement, on peut dire que l’usage y reste encore relativement faible », reconnaît Sylviane Ratte, consultante pour l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires. À l’OMS, Édouard Tursan d’Espaignet, coordinateur de la surveillance du tabac, indique que celui-ci est à l’origine de 3 % de l’ensemble des décès en Afrique chez les plus de 30 ans. « Ce qui représente environ 150 000 victimes par an », précise-t-il.

Un problème parmi d’autres
Ce chiffre reste encore largement en deçà des millions de morts provoquées par les maladies infectieuses ou diarrhéiques. Ce qui n’a pas échappé à l’industrie du tabac qui, assez cyniquement, y a vu plutôt un avantage. « Au départ, les cigarettiers se sont dit que ces pays avaient tellement de problèmes de santé que les morts du tabac allaient passer inaperçus, explique le professeur Dubois. En fait, cela a été le cas au début mais, aujourd’hui, les conséquences du tabagisme sont bien identifiées en Afrique », ajoute ce médecin.
Auprès des gouvernements locaux, l’industrie du tabac continue de distiller l’idée que les maladies infectieuses doivent rester la priorité des programmes de santé. « Les firmes agissent de manière subtile, souvent de manière indirecte, par exemple en finançant des programmes de lutte contre le sida ou le paludisme. Pour eux, c’est une façon d’ancrer la conviction que le tabac n’est pas un problème sanitaire majeur, qu’il y a d’autres urgences », explique Lacina Tall, responsable d’une plate-forme d’ONG anti tabac en Côte d’Ivoire.

Des recettes déjà éprouvées
Sinon, pour conquérir ces nouveaux marchés, les multinationales utilisent des recettes déjà éprouvées ailleurs. « Comme elles l’avaient fait dans les pays d’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin, elles distillent l’idée que fumer est un acte de liberté et une manière d’adopter un mode de vie occidental », commente Pascal Diethelm, représentant à Genève de l’Alliance pour la convention cadre anti tabac, qui regroupe 350 ONG.
Pour toucher sa cible principale, les jeunes, l’industrie investit des secteurs porteurs, notamment le sport. « Il y a quelques années, elle sponsorisait largement le football et le cyclisme au Burkina Faso. Mais elles ont cessé cette promotion directe depuis l’adoption de notre loi anti tabac en 2008 », souligne Mohamed Ould Sidi, Président d’honneur de l’association Afrique contre le tabac au Burkina Faso et vice-président de l’Alliance contre le tabac en Afrique francophone (Otaf).
« Les firmes parrainent aussi beaucoup de concerts dans les bars ou les restaurants : elles font venir un chanteur et organisent une soirée qui est l’occasion de faire une promotion plus ou moins déguisée de leurs produits », constate Yaya Sidjim, responsable d’une association anti tabac au Tchad.

Réseaux d’influence et stratégie marketing
De l’avis de plusieurs responsables associatifs, les multinationales entretiennent aussi tout un réseau d’influence auprès des ministères et des administrations. « À la fin de l’année, il y a la distribution des “étrennes” : des stylos de marque, des ordinateurs, des clés USB, etc. », explique Augustin Faton, président d’IECT, une association anti tabac au Bénin. Les multinationales veillent surtout à soigner leur image en finançant toutes sortes d’activités caritatives, le plus souvent sans aucun lien avec le tabac.
« En Mauritanie, c’est un cigarettier qui a ainsi permis l’ouverture d’un hôpital d’ophtalmologie », précise Édouard Tursan d’Espaignet. « Après les inondations de 2009, l’industrie du tabac a offert 50 millions de francs CFA (76 000 €) aux sinistrés, ce qui a donné lieu à une belle photo avec le président lors de la remise de la somme », raconte Mohamed Ould Sidi.
« Chez nous, l’industrie du tabac a financé la formation de jeunes entrepreneurs en leur donnant un petit capital pour monter leur affaire. C’est une façon de se faire bien voir en faisant du social », confie le docteur Judith Segnon, épidémiologiste au ministère de la santé du Bénin. Là encore, tout repose sur une stratégie marketing soigneusement étudiée : mettre en avant la « responsabilité sociale » de l’entreprise, sa volonté de jouer un « rôle citoyen » en faisant oublier que son objectif est de vendre un produit qui, au final, tuera la moitié de ceux qui vont le consommer.

Organisation de la contrebande
Enfin, selon plusieurs experts, l’industrie du tabac utilise une autre arme secrète : l’organisation de la contrebande. Selon le CNCT, une des premières stratégies des cigarettiers, pour développer un nouveau marché, consiste à y introduire clandestinement des produits de marque à très bon marché, afin d’éviter toute taxe officielle. « Cela permet de casser les monopoles et d’installer ses produits », explique le professeur Dubois. Cela permet aussi de créer de nouvelles habitudes de consommation dans le pays.
« Le tabac est hautement addictif : avec la contrebande, l’objectif est de rendre le tabac très accessible et les fumeurs dépendants pour en faire des clients fidèles », décrypte Pascal Diethelm. « Ensuite, les firmes peuvent aller voir les gouvernements pour leur dire que la contrebande est vraiment un problème et proposer leur aide pour y faire face, ajoute-t-il. En faisant passer le message que le meilleur moyen de lutter contre le marché parallèle est de ne pas trop augmenter les taxes contre les cigarettes vendues dans le circuit officiel… »

Pierre Bienvault La Croix.com 07/06/2012
http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/Les-multinationales-du-tabac-visent-les-pays-du-Sud-EP_-2012-05-29-812022


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