France - Y a-t-il un « thymostat » dans le cerveau ? ()


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 Y a-t-il un "thymostat" dans le cerveau ? ()

Avec l’aimable autorisation de l’auteur Renaud de Beaurepaire
CH Paul Guiraud, 94806 Villejuif

Résumé
L’humeur est dépendante des évènements stressants présents dans l’environnement.
L’hypothèse proposée dans cet article est qu’un mauvais contrôle de l’humeur est dangereux pour la survie, et que le contrôle de l’humeur est d’une complexité telle qu’il doit nécessairement être centralisé, utilisant un système spécifique et autonome. On a appelé ce système spécifique un thymostat. Selon l’hypothèse développée, le thymostat serait un générateur d’opérations psychomotrices, il serait localisé dans l’hypothalamus, il règlerait le set-point de la thymie (la normothymie), et son fonctionnement serait étroitement lié à l’afflux des informations provenant de « neurones du stress » présents dans le système limbique (surtout l’amygdale) et dans les boucles préfrontales cortico-sous-corticales (surtout la boucle cingulaire).
L’humeur de tout un chacun peut varier d’un moment à l’autre, mais, chez les personnes normales, ces variations sont habituellement de courte durée. Autrement dit, l’humeur d’une personne normale est fondamentalement assez stable. On ne sait pas pourquoi l’humeur est stable. On peut s’interroger sur les raisons de cette stabilité. À moins que l’on ne décide d’emblée que c’est un problème inutile, que l’humeur est naturellement stable comme la terre est ronde ou le ciel est bleu. Qu’il existe seulement, nichés dans un ou deux recoins du cerveau, un noyau maniaque et un noyau dépressif, qui ne seraient pas là, ou seraient naturellement quiescents, chez les personnes normales, et qui ne s’exprimeraient que chez les personnes malades. Mais cette façon de voir est peu compatible avec le fait que les affects et les humeurs, les plaisirs et la tristesse, la joie et la colère, sont universels, et que la manie et la dépression ne sont jamais que les expressions extrêmes d’états ou de sentiments quotidiens et universellement partagés. Dans ces conditions, on ne peut pas penser que l’humeur est naturellement stable comme la terre est ronde.
On peut aussi penser que la stabilité de l’humeur n’est rien d’autre que le résultat de la neutralisation réciproque de deux grands systèmes actifs en permanence, actifs et en constante opposition, l’un qui serait un grand système activateur de l’humeur (potentiellement maniaque), et l’autre un grand système inhibiteur (potentiellement déprimé). Si l’un devenait hyperactif, l’autre pourrait se retrouver inhibé, et vice versa, produisant des états d’excitation ou de dépression de l’humeur. Mais ce qui plaide contre une telle façon de voir est l’exemple d’autres grands systèmes. Des systèmes conçus pour contrôler d’autres grandes fonctions que l’humeur, telles que la température centrale, la pression artérielle, l’osmolarité, la glycémie, les sécrétions endocriniennes, et d’autres encore. Ces grands systèmes sont commandés par un régulateur central, que l’on peut appeler aussi centre de contrôle, ou centre de commande centrale. Ce centre régulateur détermine ce que l’on appelle un « set-point », qui est un point de stabilité universel. Par exemple, la température corporelle est maintenue constante entre 36 et 37°. Ou bien la pression artérielle a des chiffres normaux et assez constants, systoliques et diastoliques, ou la glycémie, etc. Ce qui n’empêche pas ces centres de contrôle d’être soumis à l’influence de grands systèmes activateurs ou inhibiteurs, mais c’est le contrôleur central qui décide en dernier ressort, c’est lui qui, en dehors de la pathologie, a le dernier mot. Ainsi vont les homéostats : thermostat, glucostat, osmostat, et d’autres qui ne se terminent pas par « stat », mais qui n’en sont pas moins soumis à la loi d’un contrôleur central : la pression artérielle, les hormones, peut-être la satiété.
L’idée que l’on va développer dans cet article est que la stabilité de l’humeur n’est pas une donnée première qui ne se discute pas, ni le résultat de la neutralisation réciproque de deux grands systèmes antagonistes, mais que l’humeur est fondamentalement régulée par un contrôleur central, porteur d’une sorte de loi, le set-point central de l’humeur, qui commande sa stabilité. Sur le modèle des homéostats, on propose donc que l’humeur est déterminée par l’activité de ce que l’on va appeler un « thymostat ».
Pure hypothèse, aucune preuve, aucune référence dans la littérature, seulement quelques arguments.

Arguments en faveur de l’existence d’un thymostat
Outre les éléments négatifs cités ci-dessus, il existe des éléments qui soulèvent concrètement l’hypothèse de l’existence d’un thymostat.
Le premier est phylogénétique. Les variations brutales de l’humeur sont dangereuses pour un individu, elles sont susceptibles de lui faire perdre gravement son contrôle de soi, elles sont souvent antisociales, c’est dangereux pour la survie de l’espèce. N’importe quoi, même le plus petit des événements, pour peu que l’individu y soit sensibilisé, peut provoquer un profond dérèglement de l’humeur. Les déterminants psycho-sensoriels de l’humeur sont extrêmement nombreux, d’une complexité que l’on pourrait dire infinie, ils sont aléatoires et viennent de n’importe où (externes : l’environnement ; internes : l’histoire traumatique personnelle du sujet), et ils n’ont, que l’on sache, aucune organisation naturelle cohérente. La nature ne pouvait pas laisser cela sans inventer système régulateur solide qui évite des débordements incontrôlés.
Le second élément est le fait qu’il existe des thymostabilisateurs. Les thymostabilisateurs sont très efficaces dans le traitement des troubles de l’humeur. Les thymostabilisateurs ne peuvent pas être de simples réducteurs universels de l’excitabilité (d’autant que le plus typique d’entre eux, le lithium, est épileptogène). En réalité, comme on le verra plus loin, les thymostabilisateurs semblent agir très spécifiquement sur certains systèmes particuliers du cerveau. On peut donc garder comme argument en faveur d’un thymostat le fait que les thymostabilisateurs ont une sélectivité anatomique d’action.
Le troisième élément est clinique. Les troubles de l’humeur sont d’abord caractérisés par des variations de la vitesse des opérations psychomotrices au cours des différentes phases de la maladie, ralentie dans la dépression, accélérée dans la manie. D’un point de vue neurobiologique, aborder des opérations psychomotrices en termes de vitesse conduit inévitablement à imaginer l’existence de générateurs, auxquels toute opération motrice est nécessairement associée. Dans les troubles de l’humeur, la vitesse des opérations locomotrices est indissociablement liée à la vitesse des opérations mentales, conduisant à penser qu’elles pourraient être générées par un même système. On appellera ce système un « générateur d’opérations psychomotrices ». On connaît des générateurs de la locomotricité (ils sont situés dans le tronc cérébral et la moelle), mais on n’a aucune idée de ce que pourraient être des générateurs de motricité dans le cas des opérations mentales. Il n’y a pas de raison pourtant pour que les deux types d’opérations (locomotrices et psychomotrices) soient tellement différents (l’organisme réutilise toujours les mécanismes qui ont démontré une efficacité).
Enfin, un dernier élément est que les troubles présents dans les états maniaques et dépressifs sont associés à plusieurs autres troubles : du sommeil, du comportement alimentaire, et des sécrétions endocriniennes. S’il existe un contrôleur des opérations psychomotrices exerçant,,, ses effets sur la stabilité de l’humeur, il y a tout lieu de penser que ce contrôleur est situé à proximité d’autres contrôleurs, en étroite interaction avec eux, ceux du sommeil, de la prise alimentaire et des sécrétions hormonales. Toutes ces fonctions sont des fonctions dépendantes de l’hypothalamus. Cela conduit à imaginer un thymostat situé dans l’hypothalamus, et cela amène sur le devant de la scène la question du rôle de l’hypothalamus dans les troubles de l’humeur.
En résumé, ces éléments soulèvent l’hypothèse de l’existence d’un système constitué par un contrôleur central, situé dans l’hypothalamus, qui peut se dérégler soit dans un sens (commande d’un ralentissement), soit dans un autre (commande d’une accélération), entraînant avec lui d’autres homéostats du fait de relations de proximité et d’interactions fonctionnelles.

L’exemple du thermostat
Pour tracer les grandes lignes de ce que pourrait être un thymostat, on va utiliser l’exemple d’un homéostat bien connu, le thermostat. Le thermostat, comme tous les homéostats, fonctionne sur un principe simple à trois niveaux : un niveau d’arrivée de l’information (sur la température environnante), un niveau de traitement de cette information (relié à de nombreux systèmes et donc soumis à de nombreuses influences) et un niveau effecteur (qui commande le maintien ou le retour à une température normale [correspondant au set-point]) (voir de Beaurepaire 2003a, 2004).
L’information sur la température environnante est apportée de la périphérie par des afférences nerveuses issues de thermorécepteurs cutanés (sensibles aux variations de la température cutanée). Mais l’élément le plus important dans la perception des informations thermiques semble être le fait qu’il existe dans le cerveau des neurones thermosensibles (sensibles à la chaleur ou au froid). On retrouve de très fortes densités en neurones thermosensibles dans l’hypothalamus antérieur et l’aire préoptique (HA/APO). Les neurones thermosensibles sont de deux types, ceux qui sont sensibles à la chaleur (neurones « chauds », qui augmentent considérablement leur activité [décharges électriques] quand on les réchauffe, et diminuent leur activité quand on les refroidit), et ceux qui sont sensibles au froid (neurones « froids » qui font l’inverse). Les neurones chauds sont couplés à un signal froid : ils activent un signal hypothermisant (ils vont chercher à s’opposer à la chaleur qui les a activés). Les neurones froids sont couplés à un signal chaud : ils vont mobiliser des mécanismes activateurs de la thermogenèse. Dans certaines conditions, des neurones non-thermosensibles peuvent devenir thermosensibles (et vice-versa), témoignant de la plasticité de ces systèmes neuronaux.
On trouve aussi des neurones thermosensibles en dehors de l’HA/APO, il y en a dans pratiquement tout l’hypothalamus, et même dans des structures a priori peu impliquées dans la thermorégulation : le cortex pariétal, le septum, le noyau rouge, le noyau dorsal du vague, la partie inférieure du tronc cérébral, et la moelle épinière. C’est néanmoins dans l’HA/PO qu’ils sont les plus nombreux et les plus importants fonctionnellement (susceptibles de déclencher un signal froid ou un signal chaud), ce qui fait que c’est cette région qui est considérée comme le véritable siège du thermostat. Il a aussi été montré que beaucoup de neurones thermosensibles (dans l’HA/APO et ailleurs) répondent aussi aux variations de la pression artérielle, de l’osmolarité, de la concentration locale en glucose et en stéroïdes sexuels, ainsi qu’à des stimuli nociceptifs et même émotionnels. En contrepoint, certains neurones, spécifiquement identifiés comme osmorégulateurs ou glucosensibles, etc., peuvent répondre à des stimuli thermiques. De telles multimodaliltés des réponses indiquent que le thermostat n’est pas une structure isolée, mais en constante interaction avec les autres grandes fonctions régulatrices du cerveau (et sa localisation dans l’hypothalamus pourrait faciliter de telles interactions avec les homéostats situés à proximité, dans des contextes de grandes plasticité et multimodalités cellulaires). De nombreux neurotransmetteurs, peptides, ou autres types de molécules, peuvent modifier l’activité des neurones thermosensibles. En particulier la dopamine et la noradrénaline, qui favorisent les hyperthermies, et la sérotonine, qui favorise les hypothermies.
Un signal hypothermique, qu’il soit lié à un réchauffement de l’atmosphère ou à un réchauffement artificiel de l’hypothalamus antérieur, ou encore à l’action d’un neurotransmetteur, est suivi par toute une série d’actions qui ont pour effet d’augmenter les dépenses caloriques (pour perdre de la chaleur). Un signal hyperthermique déclenche l’inverse. Ces actions semblent commandées par des neurones de l’HA/APO. Des situations de compétition, ou de conflit, peuvent aussi survenir, pour diverses raisons (liées à la multiplicité des interactions et modalités neuronales), qui sont susceptibles modifier, ou d’émousser, les réponses thermiques. C’est le centre de commande, le thermostat, qui, en dernier ressort, décidera de déclencher telle ou telle action, pour maintenir la température stable.
Le thermostat est donc un système très complexe, mais il est entièrement au service d’un objectif simple : maintenir une température constante et stable, quels que soient les événements environnementaux ou internes. Le set-point a la simplicité de sa constance. La notion de set-point repose sur l’hypothèse de l’existence de neurones que l’on appelle référents, ou intégrateurs (on pourrait dire des neurones « porteurs de la règle » ou « détenteurs de la loi »), qui restent stables quoi qu’il advienne, qui sont au sommet de la hiérarchie du thermostat, et qui sont générateurs du « signal de référence » (entre 36° et 37°C). Le thermostat autorise des variations mineures et temporaires de température, mais il rétablit rapidement une température normale quand existent des écarts jugés trop importants. L’origine de la stabilité du set-point est inconnue. Les hypothèses actuelles proposent que les neurones référents intègrent toutes les informations qu’ils reçoivent, qui sont en quelque sorte « moyennées », pour décider du niveau de leur réglage, dans une fourchette étroite, le moyennage habituel conduisant à des températures comprises entre 36 et 37°. Mais cette explication n’est pas complètement satisfaisante. La question d’un déterminisme génétique de cette stabilité est toujours ouverte.
. Les grandes lignes du thymostat.
Nous allons chercher en quoi pourrait consister un thymostat, construit sur le modèle du thermostat.

A. L’hypothalamus
L’hypothalamus est une sorte de chef d’orchestre qui contrôle et régule les grandes fonctions du cerveau et de la périphérie (autonomiques, endocriniennes et émotionnelles). Même si l’hypothalamus n’est pas une région habituellement considérée comme très impliquée dans la dépression, ni dans la régulation de l’humeur, un certain nombre d’éléments plaident néanmoins dans ce sens.

Les effets des thymostabilisateurs
Les thymostabilisateurs (le plus étudié est le lithium) sont des molécules qui agissent sur de nombreux systèmes dans le cerveau, et le mécanisme responsable de leurs effets proprement thymostabilisateurs est toujours inconnu. Parmi les sites d’action du lithium, l’hypothalamus figure en bonne place. Le lithium a dans l’hypothalamus des effets différents de ceux qu’il a dans d’autres régions du cerveau (pour revue, voir de Beaurepaire 2002, 2003b). Le lithium active le métabolisme de la noradrénaline exclusivement dans l’hypothalamus. Il augmente (dans certaines conditions) la libération de sérotonine dans l’hypothalamus, et plus particulièrement dans la région périfornicale. Le lithium augmente les sites de recaptage de la sérotonine dans l’hypothalamus latéral, c’est-à-dire dans une région proche de l’aire périfornicale. Enfin, une hypothèse très importante concernant le mode d’action du lithium est qu’il agit sur le métabolisme de l’inositol, or, d’une part l’hypothalamus est une des régions du cerveau ou l’inositol s’accumule le plus facilement, et d’autre part le lithium a une action particulière et sélective sur l’inositol hypothalamique. D’un autre côté, on insiste beaucoup actuellement sur les effets neurotrophiques du lithium, et il ne semble pas que le lithium active la libération de facteurs neurotrophiques dans l’hypothalamus (à la différence d’autres régions du cerveau comme le cortex). Dans ces conditions, le lithium pourrait avoir des effets multiples dans le cerveau, l’effet dans l’hypothalamus n’étant pas neurotrophique, mais particulier par une certaine sélectivité d’action sur la sérotonine et l’inositol. Ce qui conduit à proposer, dans le cadre de l’argumentation de cet article, que le thymostat hypothalamique, s’il existe, aurait un lien avec l’activité sérotoninergique et l’accumulation d’inositol dans la région périfornicale. Les propriétés neurotrophiques du lithium hors de l’hypothalamus pourraient entrer dans un autre aspect de l’hypothèse du thymostat (un contrôle du thymostat par le cortex).

Hypothalamus et antidépresseurs
La théorie sérotoninergique de la dépression propose qu’il existe une insuffisance de sérotonine, ou un défaut de transmission sérotoninergique, dans le cerveau des déprimés. Or il a été montré que les antidépresseurs, en particulier les tricycliques, augmentent la libération de sérotonine dans l’hypothalamus, et beaucoup d’antidépresseurs désensibilisent les récepteurs sérotoninergiques présynaptiques dans l’hypothalamus. C’est aussi en agissant dans l’hypothalamus que les antidépresseurs peuvent normaliser l’activité de l’axe corticotrope (on sait l’importance de l’axe psychotrope dans la physiopathologie de la dépression, avec la théorie corticoïde de la dépression). Enfin, il est vraisemblable que c’est en agissant dans l’hypothalamus que les antidépresseurs, normalisent progressivement les troubles du sommeil, de la prise alimentaire et des sécrétions hormonales chez les déprimés.

Hypothalamus et activité motrice
Le rôle de l’hypothalamus dans la régulation de l’activité motrice est moins connu que pour les fonctions autonomiques et endocriniennes, mais c’est un rôle bien démontré. Nous avons montré que certaines régions de l’hypothalamus, et plus particulièrement la région paraventriculaire/périfornicale, sont très impliquées dans les comportements moteurs (peut-être par des mécanismes calcium-dépendants), que ce soit dans le sens d’une inhibition motrice (de Beaurepaire et Freed 1987) ou d’une activation motrice (de Beaurepaire et Freed 1989). De nombreux travaux ont confirmé l’implication de la région périfornicale dans la régulation de l’activité motrice. Ainsi, l’injection de sulpiride (un antagoniste dopaminergique D2/D3) dans la région périfornicale stimule l’activité locomotrice (Parada et al 1988) et augmente la libération de dopamine dans le noyau accumbens (Parada et al 1995). Des auteurs ont aussi montré que la sérotonine dans l’hypothalamus latéral a une action inhibitrice sur la libération de dopamine dans le noyau accumbens (Lorrain et al 1999). Ces travaux font donc un lien entre l’hypothalamus, et plus particulièrement la sérotonine hypothalamique, et une région dopaminergique, le noyau accumbens, qui est un élément clé de la boucle cingulaire (impliquée dans la motivation et l’intentionnalité). Plusieurs peptides présents dans cette région (entre autres l’orexine et le corticotropin-releasing factor) sont capables de modifier à la fois les états de vigilance et l’activité motrice des animaux. L’hypothalamus est aussi reconnu depuis très longtemps comme impliqué dans les réactions de défense (le fight/flight), qui sont des réactions primitives, phylogénétiquement très anciennes, qui déterminent l’attitude d’un individu face à un danger : faire face ou fuir. Il existe tout un circuit neuronal qui contrôle ces réactions de défense, où l’hypothalamus a un rôle majeur (surtout la région périfornicale). Les réactions de défense sont d’abord des réactions motrices – faire ou ne pas faire le mort – dans le cadre des réactions de stress (en présence d’un danger).

Hypothalamus, émotions et agressivité
Il existe de très nombreuses données expérimentales qui démontrent que l’hypothalamus est impliqué dans le traitement des émotions. Les liens entre l’amygdale et l’hypothalamus sont très étroits, et il est bien établi que l’hypothalamus est un effecteur de certains aspects des réactions de stress, tels que l’activation de l’axe corticotrope, la mobilisation des systèmes sympathique ou parasympathique, et les modifications comportementales du stress (les réactions de défense que l’on a citées). L’agressivité est aussi liée à l’hypothalamus. L’agressivité hypothalamique est un symptôme couramment décrit en neurologie chez l’homme. Cela ne veut pas dire que l’hypothalamus est la seule structure cérébrale potentiellement responsable de comportements agressifs, mais une revue de la littérature montre que les autres régions du cerveau les plus communément impliquées dans l’agressivité, l’amygdale et le cortex préfrontal médian, constituent un réseau « des émotions et de l’humeur » qui fonctionne en étroite relation avec l’hypothalamus.

Hypothalamus et dépression
L’hypothalamus n’est généralement pas considéré comme une structure primairement impliquée dans la dépression (on tendrait plutôt à incriminer le cortex cingulaire et l’amygdale), mais des anomalies cellulaires et biochimiques ont été retrouvées dans le l’hypothalamus des déprimés (voir Bernstein et al 2004).

B. Le niveau de l’arrivée de l’information
L’apparition du thermostat, au cours de l’évolution, a constitué une étape décisive dans le développement des espèces. Avant le thermostat, les animaux étaient dépendants de l’énergie calorique apportée par l’environnement (poïkilothermes), et quand ils sont devenus autonomes vis-à-vis de l’environnement sur le plan thermique (homéothermes), cela leur a ouvert la possibilité de développer un répertoire beaucoup plus étendu de stratégies pour survivre. En poursuivant l’analogie entre thermostat et thymostat, on soulève la question de savoir en quoi l’apparition d’un thymostat pourrait avoir été aussi révolutionnaire que celle d’un thermostat. La réponse pourrait être que la fonction première du thymostat est tout aussi énergétique que celle du thermostat, mais se rapportant à ce que l’on pourrait appeler l’énergie psychique, dans le sens où celle-ci est mobilisée pour organiser des stratégies de survie. Si le thermostat est un générateur d’énergie pour mettre en place des stratégies permettant d’organiser et d’équilibrer les dépenses caloriques, le thymostat serait un générateur d’énergie et de stratégies pour activer et organiser des informations psychiques dans un but de survie. _ Les informations psychiques s’appellent des affects, et le principal pourvoyeur d’affects est le stress. Les informations arrivant au thymostat seraient ainsi tous les événements changeants de l’environnement auxquels le cerveau doit faire face en tant qu’ils sont pourvoyeurs d’affects.
Il est évidemment difficile de trouver dans le cerveau des neurones qui auraient la propriété d’être des constituants spécifiques du thymostat, analogues à ce que sont les neurones thermosensibles dans le cas du thermostat, mais on proposera que le réseau afférent vers le thymostat rassemble l’ensemble des neurones sensibles à l’impact du stress ou des affects : on les appellera les « neurones du stress ». Il ne fait pas de doute que de tels neurones existent, et on proposera, par analogie avec le thermostat, que certains de ces neurones sont plus particulièrement liés au centre de contrôle (déterminant un set-point du thymostat), ce qui n’empêche pas les vastes réseaux des neurones du stress d’être présents partout dans le cerveau, d’être multimodaux, pour constituer un large système d’information de neurones sensibles au stress et aux affects. Ils convergeraient vers leur centre de contrôle, possiblement situé dans l’hypothalamus, au sommet de la hiérarchie (ou peut-être plutôt à la base, parce qu’on a un peu de mal à imaginer que l’hypothalamus pourrait être au sommet d’une hiérarchie dans le cas du traitement des affects et du stress, c’est plutôt le cortex préfrontal que l’on mettrait au sommet de la hiérarchie).
Les neurones du stress sont situés dans des régions multiples, principalement les réseaux de neurones provenant du système limbique et de certaines régions du cortex, porteurs d’affects et de diverses formes d’intentionnalités. Les informations qui concernent les affects proviennent principalement de l’amygdale. Les informations qui concernent les intentionnalités viennent des boucles cortico-sous-corticales, et plus particulièrement des boucles cingulaire (cortex cingulaire-pallidum-accumbens-thalamus-cortex cingulaire) et orbitaire (cortex orbitaire-pallidum-striatum ventral-thalamus-cortex cingulaire). Quand l’amygdale est dans l’incapacité de traiter les informations stressantes, elle déclenche les réactions physiologiques du stress en activant toute une série de structures, plus particulièrement trois structures : l’hypothalamus, la substance grise périaqueducale et le tronc cérébral (où sont en particulier situés les noyaux des neurotransmetteurs). Ces structures coordonnent les réponses au stress. L’hypothalamus est plus impliqué dans les réactions motrices, la prise alimentaire, les réactions cardiovasculaires, le sommeil, les hormones sexuelles et l’activité de l’axe corticotrope. On propose que l’intégration des informations stressantes pourrait se faire dans la région périfornicale, qui apparaît bien comme une zone de convergence et de traitement de toutes les informations que l’on suppose impliquées dans le fonctionnement d’un thymostat. La substance grise périaqueducale est impliquée dans certaines formes de réactions motrices et dans les seuils nociceptifs, et le tronc cérébral dans certaines réactions neurovégétatives et la libération de neurotransmetteurs. Le cortex préfrontal médian (plus particulièrement le cortex cingulaire) constitue une afférence importante de l’hypothalamus. Si bien que l’amygdale, le cortex cingulaire, la substance grise périaqueducale et la région périfornicale sont des régions étroitement interconnectées, constituant les principaux supports des neurones du stress.

Le niveau du traitement de l’information
On sait que la région paraventriculaire/périfornicale est un carrefour d’informations. Une lésion de la région périfornicale produit une apathie, une anorexie, des anomalies de traitement des informations sensorielles, et des troubles du sommeil. Des multi modalités neuronales ont été décrites dans cette région. Par exemple les neurones à orexine, qui projettent dans la région périfornicale, sont différemment activés dans les états de veille et les états de sommeil, et leur activité est aussi liée à l’activité musculaire (Alam et al 2002 ; Methippara et al 2003). Ces neurones sont en relation avec les sécrétions hormonales. Le système des orexines constitue donc un système peptidergique multimodal qui pourrait être impliqué dans la stabilisation de l’humeur (mais il n’est pas le seul). On sait par ailleurs qu’un neurotransmetteur, la dopamine, est impliqué dans l’activité motrice (au sens de locomotrice) ainsi que dans l’activité psychique (dans le sens d’une activation des représentations mentales, et de la pensée en général), et dans les expériences de plaisir. Or la région périfornicale fonctionne en étroite relation avec le noyau accumbens, qui constitue la principale voie dopaminergique mésolimbique (voie du plaisir). Des expériences ont montré les neurones de la région périfornicale sont spécifiquement impliqués dans le traitement des expériences de plaisir. En résumé, la région périfornicale (ou paraventriculaire/périfornicale) est un lieu d’intégration de fonctions multiples, autonomiques, émotionnelles, appétitives, mnésiques (par le fornix) et motrices, qui lui donnent une position stratégique unique entre le cerveau primitif hypothalamique et les cerveaux émotionnels et cognitifs du système limbique et des boucles cortico-sous-corticales. On propose donc que cette région, du fait de sa position et de ses fonctions, pourrait constituer un centre de contrôle des réactions au stress, sur les divers plans, autonomiques, émotionnels et endocriniens, ainsi, et surtout, que sur le plan moteur (capacité à régler l’intensité des réponses psychomotrices, avec leurs deux composantes : vitesse et amplitude).

Le niveau effecteur
Le cerveau est construit de telle sorte que les couches les plus récentes de développement (au cours de l’évolution des espèces) inhibent les couches les plus anciennes. Ainsi, le système limbique est venu coiffer l’hypothalamus, et exerce sur lui un effet inhibiteur ; et le cortex coiffe et inhibe le système limbique. Il ne s’agit pas d’inhibitions complètes, mais d’inhibitions contrôlées des activités sous-jacentes, qui ne laissent filtrer des productions plus archaïques que quand celles-ci sont utiles pour faire face aux situations environnementales. Dans ces conditions, le générateur d’opérations psychomotrices (d’actes moteurs) que l’on a pris le parti de localiser dans l’hypothalamus est normalement inhibé par les structures limbiques et corticales, et s’activerait, de façon phasique, quand il est sollicité.
On peut aussi proposer qu’il n’aurait pas seulement une activité phasique, mais aussi une activité tonique de base (comme un tonus musculaire de base, constant avec un niveau d’activité bas). Il exercerait son activité tonique sur toutes ses projections, maintenant un niveau constant de stimulation sur l’activité psychomotrice. Dans ce cas, il ne serait pas seulement contrôlé par les structures limbiques et corticales, mais il exercerait aussi sur elles une influence permanente, avec un tonus permanent d’activité stimulante : il serait bien un thymostat (celui qui règle la vitesse et l’amplitude des actes). Le thymostat serait ainsi un générateur primaire d’actes simultanément moteurs et psychiques, ou seulement moteurs ou psychiques dans certaines circonstances. Il pourrait, indépendamment ou simultanément (et en règle simultanément dans les circonstances pathologiques d’un trouble de l’humeur), activer des générateurs d’activité motrice (connus pour être situés dans tronc cérébral) et psychique (que l’on pourrait situer dans la boucle cingulaire).
Ce modèle pourrait permettre de distinguer diverses formes de pathologies appartenant au spectre des troubles de l’humeur, à partir de différents niveaux de dérèglement du thymostat. Par exemple, dans les troubles bipolaires I, de très nombreuses anomalies structurales et fonctionnelles ont été décrites dans le cortex préfrontal et le système limbique (voir Drevets 2000). Ces anomalies concernent essentiellement le cortex préfrontal médian, où jusqu’à 40% de pertes neuronales ont été retrouvées chez les déprimés. On imagine facilement qu’un cortex qui a perdu près de la moitié de ses neurones soit incapable, dans des conditions de stress, de contrôler un générateur sous cortical d’activité psychomotrice. Le thymostat pourrait se dérégler selon des données psychodynamiques : commande d’un ralentissement psychomoteur après une expérience de perte, commande d’une hyperactivité psychomotrice après une expérience euphorisante. Les thymostabilisateurs, par leur double (ou triple) action, peuvent normaliser le système : comme on l’a vu, le lithium stabilise les systèmes de neurotransmetteurs dans l’hypothalamus (en particulier dans la région périfornicale) et a des effets neurotrophiques sur les neurones du cortex, permettant probablement par là de restaurer une capacité inhibitrice du cortex sur les régions sous-corticales. Le lithium semble aussi capable (troisième action) de bloquer l’activation dopaminergique dans le noyau accumbens (voir de Beaurepaire 2002) contribuant peut-être ainsi à tempérer une excitation excessive par le générateur hypothalamique.

Conclusion
Selon l’hypothèse développée dans cet article, il existerait dans le cerveau un système à la fois générateur et contrôleur de l’activité psychomotrice, et porteur d’une sorte de « règle de la normothymie », que l’on a appelé un thymostat. On a situé ce thymostat dans la région périfornicale de l’hypothalamus. Ce contrôleur/générateur fonctionnerait en relation avec deux vastes systèmes qui le chapeautent, le système limbique et les boucles cortico-sous-corticales (surtout la boucle cingulaire qui est la plus motrice). Ce thymostat serait capable de déterminer un set-point d’activité psychomotrice. Il pourrait se dérégler et commander des excitations psychomotrices excessives (accélérées = manie) ou trop faibles (ralenties = dépression). Cette hypothèse trouve sa justification dans le fait que les grands systèmes activateurs et inhibiteurs de l’humeur, qui sont directement en relation avec les stress environnementaux, sont devenus, au cours de l’évolution, trop complexes à réguler, et trop ouverts à des aléas incontrôlables qui mettent la vie en danger. Conduisant à la nécessité d’être réglés par un contrôleur central, le thymostat.

Références
Alam MN et al. Sleep-waking discharge patterns of neurons recorded in the rat perifornical lateral hypothalamic area. J Physiol 2002 ;538:619-631.
Bernstein HG, Heinemann A, Bogerts B. Electro-convulsive therapy, nitric oxyde and HPA axis : a closer link at human hypothalamus. Med Hypotheses 2004 ;62:158-159.
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