Algérie - Le tabac coûte plus cher qu’il ne rapporte (03/06/2008)


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 Le tabac coûte plus cher qu’il ne rapporte (03/06/2008)

Cardiologue à la clinique Mozart à Paris, le Dr Kamel Abdennbi est un éminent spécialiste en cardiologie et en tabacologie. Il a obtenu son diplôme en cardiologie à l’université d’Alger en 1987 et son diplôme de tabacologue en 1992. Membre actif de Médecins sans frontières pendant douze ans. Il est membre de la Société française de tabacologie. Il est l’auteur du livre « Arrêt du tabac : rumeurs et réalités » paru aux éditions Meditext.

Quel est le bilan des méfaits du tabac dans le monde en termes humain et financier ?
La consommation de tabac est responsable chaque année de 3 millions de victimes dans le monde, dont 500 000 femmes. Dans les pays du Maghreb, le tabagisme n’est pas présenté comme un facteur de risque. Bien au contraire, il est perçu comme une habitude sociale largement répandue, acceptée par tous, revendiquée par les plus jeunes, source de nombreux emplois (quel fumeur n’a pas acheté son paquet de cigarettes chez les vendeurs à la sauvette ?) et la nicotine sert de véritable anxiolytique social ! Pendant longtemps, pour de nombreuses raisons, il était difficile de s’ériger en censeur et tenir un discours anti tabac au Maghreb, invoquant la priorité de la population sur d’autres problèmes plus importants… mais l’heure est désormais venue de s’attaquer à ce vrai problème de santé publique qui coûte plus cher qu’il ne rapporte à la société algérienne. Combien d’Algériens meurent chaque année des conséquences du tabagisme direct (actif) ou indirect, par le tabagisme des autres (passif) ? Il y a des milliers de décès liés au tabagisme chaque année dans nos pays (le fumeur a 24,22 fois plus de risque de présenter un cancer du poumon) sans compter le trop grand risque de maladies liées au tabac : cardio-vasculaire, pulmonaire, ORL, urologique…)
En Occident , le tabac est la plus grande cause d’inégalité devant la maladie et la mort, les ouvriers ou « cols bleus » meurent plus tôt que « les cols blancs », mais cela n’est absolument pas vrai en Algérie où les cadres fument beaucoup et il serait intéressant de connaître les statistiques des médecins fumeurs dans nos hôpitaux ! La communauté médicale (il existe fort heureusement un noyau « dur » de militants anti tabac) devrait s’inquiéter de cette situation quasi endémique et interpeller les pouvoirs publics pour lutter contre ce facteur de risque d’autant qu’en matière d’économie de santé, l’arrêt du tabac est très efficace. Le tabac coûte plus cher à la société qu’il ne lui rapporte, mais c’est un « tueur » à crédit, c’est-à-dire que l’on fume aujourd’hui mais l’on paye de sa santé des années plus tard. Sur le plan économique, les lourdes taxes perçues immédiatement par l’État (près de 75 % du prix du tabac) sont contrebalancées par les grandes dépenses de santé directes et indirectes mais tardives induites par les maladies du tabac. Il faut beaucoup de courage politique pour refuser les mannes directes en pensant à la santé de ses concitoyens 20 ou 30 ans plus tard, mais rien de plus important que la prise en charge des problèmes de tabac dans notre pays, car cela réduirait de nombreux décès et ce, en utilisant une technique peu coûteuse et très productive en termes de coût-efficacité.

Peut-on dire que la cigarette agit comme une drogue dure sur le métabolisme ?
Le tabagisme a longtemps été considéré comme une simple habitude et non comme une dépendance, principalement parce que ses effets ne modifient pas outrageusement le comportement du fumeur et qu’ils ne le marginalisent pas vis-à-vis de la société, mais aussi parce que le syndrome de sevrage tabagique est bien moins bruyant que celui du sevrage alcoolique ou opiacé. Cependant, le sevrage tabagique n’en est pas moins difficile à supporter, et il suffit de comparer les taux de rechute aux tentatives de sevrage de différentes substances (alcool, opiacés, cocaïne) pour s’apercevoir qu’il n’y a pas de différence. Pourquoi certaines personnes fument-elles, alors que d’autres ne fument pas ? La dépendance tabagique est un phénomène complexe faisant intervenir à la fois des facteurs environnementaux et constitutionnels. Fumer sa première cigarette (ou chiquer sa première prise !) n’est de toute évidence pas répondre à un besoin pharmacologique, mais obéir à des pressions sociologiques et culturelles qui, par la suite, perdent de leur importance. Cependant, tout individu exposé au tabagisme ne développe pas obligatoirement une dépendance, et il est probable que certaines personnes y soient plus susceptibles que d’autres de par leur sensibilité envers les effets de la nicotine. Il est communément admis que le processus de dépendance déroute, à son profit, les systèmes de récompense nécessaires à la réalisation de nos grands comportements. Ainsi, tels les signaux internes d’hypoglycémie qui nous poussent à réaliser un comportement alimentaire, les signaux internes d’une baisse de la nicotine dans le sang poussent le fumeur à s’administrer de la nicotine. Comme il est vain d’espérer résister très longtemps à la faim, la volonté n’a guère de prise sur ces processus automatiques. Les progrès récents dans la compréhension des effets centraux de la nicotine sont considérables et l’importance du rôle de la nicotine dans la dépendance tabagique est de plus en plus évidente.
Ce rôle est aussi démontré par le succès des méthodes de substitution nicotinique dans l’aide à l’arrêt du tabac et encore plus démontré par le succès du traitement par la varenicline (Champix®), nouvellement introduit dans le monde et très prochainement en Algérie. En atténuant de nombreux symptômes du sevrage, la varenicline (Champix®) permet à une grande partie des candidats à l’arrêt de mieux résister aux rechutes, comme le montrent les nombreuses études sur ce produit. Le tabac est pour moi, comme pour de nombreux experts, une véritable drogue qui entraîne de vrais « shoots » à la nicotine dont il est difficile de se débarrasser.

Comment la prévention est-elle menée dans les pays industrialisés afin de freiner l’apparition de nouveaux fumeurs ?
La consommation du tabac commence généralement à l’âge de l’adolescence, selon vous quelles sont les actions préventives que chaque pays devrait adopter afin de sensibiliser cette catégorie de consommateurs ?

Le seul moyen de bloquer l’industrie du tabac dans son recrutement des futures victimes est de commencer la prévention très tôt, car c’est là que cela se passe. À l’école, par des programmes d’information, l’âge de la première cigarette en France est de 11 ans et 3 mois, ensuite, il faut de véritables programmes de prévention dans les collèges comme celui que j’ai mis en place en France et aujourd’hui dans 23 pays d’Europe et qui a montré son impact sur le tabagisme des enfants, il porte le nom de classes non fumeurs (www.classesnonfumeurs.org). C’est un principe psychologique très simple, il suffit d’inverser la norme de la classe ou de la « tribu » (à cette âge-là, les enfants sont sensibles à la norme, mode… par le concours et l’appartenance à une classe non fumeurs, les enfants se retrouvent dans la « norme » et il va exister un vrai renforcement positif qui va les pousser à rester non fumeurs et, en plus, de pouvoir gagner avec la classe un cadeau lors de la finale qui a lieu chaque année le 31 mai, Journée mondiale sans tabac, avec le soutien d’un parrain sportif de haut niveau et en présence de partenaires institutionnels et non institutionnels.
En Europe, plus de 300 000 élèves participent chaque année à ce concours. Nous l’avons évalué et montré une réduction de l’entrée en tabagie de plus de 25 %, ce qui est naturellement très encourageant avec le Pr. Skander et d’autres acteurs de la prévention en Algérie.
Nous espérons lancer dès la rentrée prochaine, la version « classes non fumeurs » Algérie, avec le soutien de sponsors, pour offrir le plus grand nombre de cadeaux. Cette action est peu coûteuse et tellement efficace ! Cette action ne suffit pas bien entendu, il faut mettre en application toutes les autres mesures de la loi cadre de l’OMS. Je rappelle que l’Algérie est, sur le plan législatif, mieux dotée que ses voisins et est le seul pays du Maghreb à avoir signé la Convention cadre de l’OMS, ce qui représente un énorme pas en avant, car cela oblige l’État à prendre des mesures spécifiques de lutte antitabac afin de « dérégulariser » le tabac dans la société. Il faut donc régler aussi ces problèmes pour rendre le tabac plus difficile à trouver et acheter. Le prix du tabac est un volet important et va inciter les jeunes à être moins tentés si le produit est très cher et les taxes récupérées vont alors servir à financer les programmes de prévention.

Quels sont les dégâts causés par le tabagisme passif à travers le monde et quels sont les résultats de l’interdiction de fumer dans les lieux publics ?
En France, le tabagisme passif fait près de 5 000 victimes chaque année, ce qui a été à l’origine des mesures d’interdiction dans les lieux publics, depuis février 2007, pour protéger les non-fumeurs d’une pathologie injuste. Depuis l’entrée en vigueur de la loi protégeant les non-fumeurs, le tabagisme passif est devenu un sujet d’actualité, avec de grandes interrogations sur son rôle joué dans la genèse des maladies cardio-vasculaires.
En Europe (évaluation sur 14 pays seulement) près de 7,5 millions sont exposés au tabagisme passif sur leurs lieux de travail et on estime à 72 000 le nombre de décès annuel liés au tabagisme passif « domestique », et à environ 7 000 liés au tabagisme passif « professionnel ». Les employés des restaurants, des bars, des pubs et des boîtes de nuit sont les plus exposés. Une législation antitabac sur les lieux de travail permet d’éviter entre 9 et 18 % de maladies coronariennes. En Europe, la législation est en route et on estime que le nombre d’individus non-fumeurs exposés au tabagisme passif a baissé de 50 % ces 10 dernières années. Ce risque est dû à l’action rapide et directe des composants toxiques présents dans la fumée passive sur les plaquettes et les vaisseaux sanguins des non-fumeurs après leur passage dans le sang au niveau des alvéoles pulmonaires. De plus, et cela est important, ce risque survient pour des durées courtes d’exposition à la fumée environnementale, de l’ordre de quelques minutes à quelques heures. Le résultat de cette exposition se traduit par la survenue de crises d’angine de poitrine et d’infarctus avec leurs conséquences souvent dramatiques. Ainsi, être exposé de 1 à 7 heures par semaine au tabagisme passif augmente, le risque d’infarctus du myocarde de 25 % et ce risque est augmenté de 60 % pour les sujets exposés au tabagisme passif plus de 21 heures par semaine. L’impact des lois protégeant les non-fumeurs sur la prévalence des pathologies cardio-vasculaires a été illustré ces dernières années par de nombreuses observations. La première nous est venue du Montana aux États-Unis : l’interdiction de fumer dans les lieux publics dans la petite ville de Helena a montré une diminution d’incidence des infarctus du myocarde de près de 60 % durant la période d’application des 6 mois d’un arrêté bannissant le tabac dans tous les lieux publics.
Comme en Irlande, Malte, Norvège et la Suède deux années plus tôt, l’Italie a aussi mis en place depuis le 10 janvier 2005, une législation protégeant les non-fumeurs dans tous les lieux publics avec interdiction de fumer dans les cafés, bars, restaurants et discothèques. Des études ont rapidement montré une diminution de l’exposition au tabagisme passif avec un retentissement sur la santé des populations. Les auteurs d’une étude détaillée sur la prévalence des maladies cardio-vasculaires dans le Piémont a montré une diminution de 11 % des admissions à l’hôpital pour syndrome coronaire aigu, en particulier chez les sujets jeunes. On peut s’accorder à dire finalement que l’arrêt de l’exposition au tabagisme passif permet une réduction de près de 10 % de l’incidence des syndromes coronaires aigus. L’excès de risque du tabagisme passif est lié autant au phénomène chronique (athérosclérose) que pour l’effet aigu (activation plaquettaire et dysfonction endothéliale).
Des travaux récents ont mis en évidence que même une exposition brève (quelques heures à quelques jours) au tabac favorise la formation d’un caillot et donc l’infarctus. En France, un observatoire a été mis en place de manière à suivre l’impact des mesures protégeant le non-fumeur pour apprécier leur retentissement épidémiologique sur l’incidence des maladies liées au tabac, plus particulièrement les infarctus du myocarde.

Selon votre expérience, quel est le type de traitement le plus efficace pour arrêter de fumer ?
Le meilleur des traitements reste celui de ne jamais commencer, car, une fois fumeur, il est difficile d’arrêter ! L’état dans lequel se trouve la prévention devrait inciter la communauté médicale à montrer l’exemple et commencer, chacun dans son lieu d’exercice à délivrer des messages d’encouragement aux jeunes de ne pas commencer et aux fumeurs pour arrêter. En effet, le simple conseil minimal peut suffire à condition d’en être naturellement soi-même convaincu et de montrer l’exemplarité. Les techniques de substitution nicotiniques peuvent être utiles et sont également très coût-efficaces, mais le traitement le plus efficace actuellement est indiscutablement la varenicline (Champix) qui va arriver sur le marché algérien et va aider les fumeurs à arrêter. Il ne faut surtout pas penser que ces traitements sont réservés aux « riches » de l’hémisphère Nord. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre une calculette et chiffrer le budget d’un fumeur sur une année et de le comparer aux coûts de deux ou trois mois de substitution nicotinique (patchs ou gommes) ou de 3 mois de traitement par le Champix. En dehors des arguments économiques, chaque fumeur qui a cessé de fumer réduit ses risques de morbi-mortalité cardio-vasculaire et pulmonaire de façon importante et permet des économies incommensurables à son pays. Médecins fumeurs à vos marques : il est grand temps de commencer la lutte contre l’herbe à Nicot !

Comment expliquez-vous la forte mobilisation des pays industrialisés depuis quelques années autour de cette question, notamment par l’interdiction de fumer dans les lieux publics ?
Ces pays ont simplement fait le bilan et se sont rendu compte que le tabac leur coûte plus cher qu’il ne leur rapporte et qu’il était plus sain de protéger leur population des méfaits du tabac que de traiter les nombreuses maladies liées au tabac. De plus, les procès contre l’industrie du tabac, intentés et gagnés aux USA, incitent les gouvernements à se protéger et faire le maximum pour enrayer l’épidémie.

Par Malik Guidoum, El Watan, 03/06/2008
http://new.elwatan.com/Kamel-Abdennbi-Specialiste-en

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