– Tabac et chirurgie osseuse (01/08/2007)
Les campagnes de lutte contre le tabac abordent rarement les conséquences de la nicotine sur les fractures osseuses et la chirurgie orthopédique.
Nous avons voulu dans cet article attirer l’attention sur les méfaits du tabac dans la chirurgie osseuse et les moyens de les prévenir à la suite des sonnettes d’alarme tirées au cours des journées lilloises 2007 d’anesthésie-réanimation et de médecine d’urgence (1).
Au cours de ces journées, il a été rapporté que le tabac :
- 1. multiplie par 6 les infections des plaies opératoires ;
- 2. retarde les cicatrisations cutanées, notamment dans la chirurgie de la hanche et du genou. Ces retards, souvent liés à des hématomes et des infections, passent de 5 % chez les malades non fumeurs à 31 % chez les malades fumeurs ; le pourcentage est encore plus élevé quand on associe à ces chirurgies un temps de greffe cutanée ou par lambeau musculaire de couverture ;
- 3. retarde la consolidation osseuse, et les auteurs rapportent que le délai moyen de consolidation d’une fracture fermée de la jambe double entre les fumeurs et non-fumeurs puisqu’il passe de 136 jours chez les non-fumeurs à 270 jours chez les fumeurs. _ Ces troubles sont encore plus nets dans la chirurgie du rachis.
Ces quelques exemples sont suffisants pour convaincre les « fumeurs traumatisés » de l’urgence pour eux d’arrêter de fumer au moins pendant la durée des soins. Pour comprendre ces constatations et le lien entre tabac et os, il faut se rappeler simplement que l’une des cibles de la cigarette, de la neffa ou de la chicha est le système vasculaire sanguin et que l’os est une éponge vasculaire.
Tabac et système vasculaire
La nicotine, l’un des composants du tabac, provoque contraction des vaisseaux sanguins, lésions de leur paroi et donc réduction du débit sanguin. Elle diminue la déformabilité des globules rouges, empêchant ces derniers de pénétrer dans les petits vaisseaux sanguins.
Par ailleurs, l’oxyde de carbone dégagé par la cigarette se fixe sur l’hémoglobine et empêche cette dernière de remplir sa fonction de transport d’oxygène. Enfin, le tabac perturbe les fonctions des leucocytes, entraînant une diminution des moyens de défense du corps. Faut-il rappeler que les leucocytes ou globules blancs circulent dans les vaisseaux sanguins pour nettoyer le corps des microbes afin de prévenir l’obstruction des vaisseaux par leur pullulement ?
Sur un autre plan, le tabac diminue la synthèse du collagène, principal constituant de presque tous les tissus du corps dont la paroi du vaisseau sanguin.
Os et vaisseaux sanguins
Il n’y a pas d’os sans vaisseau sanguin. L’os est une éponge vasculaire. Il est formé de 25 % de collagène rigide calcifié et que nous appelons communément os et de 70 % de tissus mous composés pour les 4/5 de vaisseaux (plus de veines que d’artères) (2).
Ces vaisseaux assurent par leur présence la synthèse du tissu osseux (collagène calcifié) par les cellules osseuses et sans vaisseaux sanguins osseux, il n’y a pas de cellules osseuses et donc pas de tissu osseux.
Le rôle des vaisseaux sanguins est donc vital pour l’os, ces vaisseaux président à sa naissance, à sa croissance, à son adaptation à l’effort et à sa réparation au cours des fractures (3). En effet, tout le monde peut constater qu’une fracture d’un os de squelette, donc sans vaisseaux » ne consolidera jamais alors qu’une fracture d’un sujet ou d’un animal vivant consolide. Ce qui consolide dans une fracture, c’est sa vascularisation, aussi il est plus correct de définir une fracture osseuse non comme une « solution de continuité de l’os », mais comme une « plaie vasculaire » et de proposer de parler chez le vivant du couple « vaisseau-os » et de réserver le mot os comme le propose le dictionnaire Le Robert : aux restes d’un être après sa mort (4).
De ces deux rappels, nous comprenons que la diminution du sang en quantité (vasoconstriction, lésion de parois vasculaires) et en qualité (diminution du transport d’oxygène, perturbation des fonctions des globules blancs) provoquées par le tabac, va réduire la synthèse du tissu osseux (collagène) par les cellules osseuses et donc retarder voire empêcher la consolidation des fractures (pseudarthroses).
Les auteurs du symposium retrouvent que le taux des pseudarthroses est multiplié par trois chez les fumeurs comparé aux non-fumeurs. Ils retrouvent aussi que toutes ces complications peuvent être prévenues par l’arrêt du tabac durant la période de consolidation osseuse chez les traumatisés et par un sevrage pré, per et post opératoire chez les malades qui doivent recevoir une prothèse articulaire.
Au cours de ces journées, il a été démontré qu’un arrêt de tabac pré-opératoire de six à huit semaines annule toutes ces complications osseuses.
La conclusion qui s’impose donc est qu’il faut tout faire pour que les malades en chirurgie orthopédique et traumatologique s’arrêtent de fumer ou de se trouver dans des enceintes enfumées pendant la durée de leur traitement s’ils veulent guérir rapidement et sans complications ; c’est encore mieux si ces malades optaient pour l’arrêt définitif de la prise de tabac.
Car préserver le couple vaisseau-os est à la base de la chirurgie osseuse et des consolidations des fractures.
Références
1) B. Dureuil, 14e journée lilloise d’anesthésie-réanimation et de médecine d’urgence www.jlar.com.Congrès_anterieur/jlar v2007/index.htm
2) P. Coujard, J. Poirier, J. Racadet. Précis d’histologie humaine, Ed. Masson, Paris 1980
3) H. Essaddam, Nouvelle approche de l’appareil locomoteur et conséquences thérapeutiques, Ed. CPU, Tunis, 2007
4) Dictionnaire Le Robert, Paris, 1993
Pr Essaddam Chirurgien orthopédiste CHU La Rabta Tunis Tunisie