– Sevrage tabagique : difficile, mais pas impossible ! (21/12/2022)
Alexis Yougbaré, fumeur pendant 42 ans, Aminata Traoré, pendant 8 ans et Joseph Compaoré, pendant 25 ans se sont donné pour défi d’arrêter la clope. Soit, pour des raisons de santé ou après une introspection. Pour y arriver, ils peuvent compter sur l’unité de sevrage tabagique qui, à la date du 6 novembre 2022, a accueilli 1 427 personnes dont 34 femmes… Reportage !
« Kof ! » « Kof ! » « Kof ! », tousse fortement Alexis Yougbaré, la main droite sur la poitrine. Quinquagénaire et cultivateur résidant à Fada N’Gourma, ville située dans la région de l’Est du Burkina-Faso, il doit se rendre de toute urgence, sur recommandation de son médecin traitant, à Ouagadougou.
Impérativement, il lui faut arrêter la consommation du tabac, plus exactement la cigarette : son état de santé est dégradant. Accompagné donc de sa fille, les voilà engagés dans un périple long de 220 km pour rallier la capitale politique burkinabè.
Le périple est long et parsemé d’embûches. Mais le jeu en vaut la chandelle. Transport en commun mis à contribution, cap est mis sur Ouagadougou après accélérations, dépassements, contrôles de sécurité et tous les risques que peut comporter un déplacement dans ce contexte d’insécurité grandissant.
Dieu faisant grâce, le voyage se passe bien, Alexis Yougbaré vient de remporter une première bataille. Pas de temps de célébrer, une reconnaissance à Dieu suffit. Il faut immédiatement prendre attache avec l’unité de sevrage tabagique dès le lendemain.
Il est 10 h, le soleil luit au point de consumer la peau. Le pas lent, le dos légèrement courbé, notre quinquagénaire fait son entrée à l’unité de sevrage tabagique, sise à quelques pas, pour ne pas dire au sein du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO) de Ouagadougou.
Visiblement, il a du mal à se mouvoir. Contact pris, il est pris en charge après entretien avec l’infirmière et le pneumologue ; et rendez-vous lui est donné dans une semaine pour une première visite.
« Depuis la semaine passée que je suis arrivé à Ouagadougou, que je suis le traitement, je n’ai plus fumé ; je ne ressens même pas l’envie. Et puis, je me sens mieux », dit-il esquissant un léger sourire. Puis de faire savoir qu’il retrouve peu à peu la sensation de ses nerfs et l’appétit.
Quel est ce traitement ? Voulons-nous tout de suite savoir. « Pour arrêter de fumer, on m’a prescrit de la colle (ndlr, sorte de sparadrap) et des bonbons », rétorque-t-il. Et, d’après ses explications, les bonbons finissent par devenir du chewing-gum et la colle, successivement, se colle sur différentes parties du corps. Bien que rassurantes, ces informations, nous les obtenons assez difficilement.
En effet, tel un marathonien essoufflé après plusieurs kilomètres parcouru, le vieux Yougbaré, mots après mots, essaie de retrouver ses esprits. La langue, un peu trop lourde ; une voix, peu audible, nous n’entendons que des bribes des éléments de réponses à nos questions en dépit de l’effort fourni pour entendre notre interlocuteur.
C’est donc grâce à sa fille, qui nous observe depuis un coin d’une des salles de l’unité de sevrage tabagique au sein de laquelle nous nous entretenons, que nous arrivons à recueillir des informations. Avant de déconseiller la consommation de la cigarette, pratique à laquelle il s’est accoutumé depuis 1980, il nous renvoie en Côte d’Ivoire où tout a commencé.
« J’ai commencé à fumer lorsque j’étais en Côte d’Ivoire. Lors de la récolte et de la casse des cabosses de cacao, on se passait les cigarettes. C’est donc dans ce passe-passe que je suis tombé accro à la cigarette. Chaque jour, c’est douze (12) paquets on fumait », rappelle M. Yougbaré. Autre clopeur, autre réalité !
En raison de palpitations thoraciques et après une introspection, elle, aujourd’hui élève stagiaire dans une école de formation, la vingtaine, célibataire, ne fume plus depuis quatre (04) mois grâce à l’accompagnement de l’unité de sevrage tabagique.
Celle qui vient d’effectuer un voyage de près de 100 km, parce que venant de la ville de Koudougou, désire se confier sous anonymat. Aminata Traoré sont les prénom et nom d’emprunt qui lui sont alors attribués.
Ce conseil du vieux Yougbaré, Aminata Traoré dit vouloir l’entendre huit ans auparavant, avant que son oncle ne l’envoie chercher de la cigarette à la boutique du quartier. « La première fois que j’ai tenu une cigarette entre mes mains, c’est lorsque mon oncle m’a envoyée chercher de la cigarette pour lui et qu’il fallait forcément que je lui revienne avec la cigarette allumée », fait-elle savoir.
Aminata fait face à un dilemme. En effet, poursuit-elle, « devant un boutiquier qui refuse de l’allumer pour moi, et personne d’autre dans les environs pour le faire, j’ai donc allumé la cigarette en tirant. J’ai tout naturellement avalé un peu de fumée ; et le peu qui est ressorti de mes narines m’a donné une forte sensation au point de me rendre très heureuse. C’est de là-bas que tout a commencé pour finalement fumer, en moyenne, trois (3) cigarettes par jour », relate-elle le souvenir encore vivace.
Deux (2) à trois (3) paquets par jour. Telle est la quantité de cigarettes qu’a atteint Joseph Compaoré, 48 ans, tailleur, résidant à Ouagadougou, en couple et père de deux enfants. Il commence à fumer à l’âge de 23 ans pour n’arrêter que le 23 février 2022, c’est-à-dire après 25 ans d’activité.
Dr Steve Huram Noumsi est un médecin, titulaire du Diplôme d’études spécialisées (DES) de cardiologie au service de cardiologie du CHU Yalgado Ouédraogo. Son intervention à l’unité de sevrage tabagique, notamment dans le cadre de l’interprétation et l’encadrement des soins de certains malades tabagiques répond aux sollicitations du Pr. Georges Ouédraogo.
Les raisons avancées par les personnes qui les approchent sont nombreuses, à l’entendre. Mais habituellement, tient-il à préciser, on ne voit pas le cardiologue ou le DES de cardiologie en première intention.
« C’est le pneumologue qui est le responsable du sevrage tabagique et qui, lorsqu’il a un patient avec un problème cardio-vasculaire, va recourir au service de son collègue le cardiologue qui viendra faire une évaluation », fait comprendre Dr Noumsi.
Il explique également que la prise en charge du patient tabagique est multidisciplinaire, pour permettre un résultat satisfaisant parce que, « le tabac a des complications sur de nombreux organes ; le poumon en premier ; le cœur et les vaisseaux en second ; les conséquences psychologiques et on peut même avoir des cancers », soutient-il.
Elle est fonction du retentissement du tabagisme, dit-il en sus. « La prise en charge dépend du retentissement du tabagisme. Si on a des complications cardio-vasculaires, le cardiologue va évaluer la gravité du retentissement. C’est en fonction de ce retentissement qu’il va traiter.
L’évaluation procède par un examen clinique complet, la demande de certains examens paracliniques (radio, électrocardiogramme, échographie…) lorsque c’est nécessaire pour apprécier la gravité du retentissement du tabagisme. Ce n’est qu’après cela qu’on peut orienter une prise en charge adaptée », explicite Dr Noumsi.
Les différentes interprétations des résultats d’examens demandés aux patients permettent au Dr Steve d’arriver à la conclusion que « le tabagisme n’est pas seulement une affaire de cigarette ; qu’il y a également d’autres modes de tabagisme comme la chicha, qui ne sont pas pour autant reconnus comme tels ; qu’il y a une grande partie de la population qui est exposée, parfois pour le loisir ; que le problème est sérieux ».
Il n’y a pas de régime adapté pour un patient qui fume, mais on peut être appelé à recourir à certains régimes alimentaires pour une meilleure prise en charge, nous apprend le diplômé d’études spécialisées (DES) de cardiologie.
« Si le patient tabagique a déjà des complications cardiovasculaires évoluées, on lui demandera de ne pas beaucoup consommer de sel. Si le patient tabagique a en plus un diabète, on lui demandera de ne pas beaucoup consommer de sucre.
Le régime qui sera prescrit au tabagique sera surtout un régime qui tient compte des complications et des comorbidités (des autres maladies qui accompagnent le tabagisme) », confie Dr Noumsi.
En moyenne, et par an, 300 personnes sont reçues à l’unité de sevrage tabagique, renseigne le coordonnateur de ladite unité, le Pr Georges Ouédraogo, pneumologue, tabacologue.
Depuis l’ouverture de l’unité à la date du 6 novembre 2022, 1 427 personnes dont 34 femmes, résidantes ou de passage au Burkina-Faso, sont reçues. De ce nombre, les adultes sont les plus nombreux. Ils sont suivis des adolescents, entre 15 et 21 ans.
Si le Professeur se réjouit d’un taux d’arrêt d’environ 18 % des personnes ayant bénéficié de l’accompagnement de son unité, car étant proches de la moyenne dans la littérature internationale (19-20 %), il y a que près de 40 % des personnes accompagnées ne terminent pas toujours le traitement proposé ; ceux qu’il appelle « les perdus de vue ».
L’autre difficulté, liée au bon fonctionnement de l’unité, c’est le manque de personnel propre à l’unité. « Nous n’avons pas de personnel propre à l’unité. C’est du personnel qui travaille dans des services à Yalgado, notamment au service de pneumologie.
Et nous devons être aux deux endroits », fait savoir le coordonnateur. À cela il faut ajouter la disponibilité des substituts nicotiniques (produits que l’on donne aux dépendants au tabac afin de les aider à arrêter leur consommation).
« Malgré l’existence de la liste nationale des médicaments essentielles qui contient les substituts nicotiniques, nous n’avons pas encore l’autorisation de mise sur le marché pour que le prix baisse. Parce que c’est assez cher, donc peu disponible financièrement dans les officines, dans les pharmacies. Les patients que nous recevons ont toujours des difficultés pour les avoir », explique le Pr. Georges Ouédraogo.
« Faire de ladite unité, un centre de recherches sur le tabagisme, avec des personnes ressources propres au centre ; et pouvoir contribuer à la décentralisation de la prise en charge ne serait-ce que dans les Centres hospitaliers régionaux (CHR).
Et pourquoi pas créer, avec l’Université Joseph-Ki Zerbo, un master en tabacologie ou en addiction de façon globale ». Voici citées les perspectives de l’unité selon son coordonnateur qui assure de ce que « si on nous renforce en ressources humaines, ce centre pourra rayonner les compétences du Burkina-Faso ».
Éric Doye est Attaché de santé à la Direction de la promotion et de l’éducation pour la santé, chargé de l’éducation pour la santé et membre du Secrétariat technique du comité national de lutte contre le tabac.
Tout de suite, à l’occasion de notre entretien, nous souhaitons savoir ce qui constitue le blocage en ce qui concerne la disponibilité des substituts nicotiniques. « Le processus est en cours pour rendre disponibles ces produits. C’est une question de temps », répond-il. Quant aux actions entreprises en vue de lutter efficacement contre le tabagisme, il indique des actions au plan législatif et règlementaire.
« Depuis la ratification de la Convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), beaucoup d’actions ont été entreprises au Burkina-Faso aux plans législatif et règlementaire pour contribuer à protéger les générations présentes et futures des méfaits dévastateurs du tabac qui vous le savez, tue, selon l’organisation mondiale de la santé (OMS) en 2017, plus de 4 800 personnes dans notre pays dont 1300 sont des non-fumeurs exposés sans le vouloir, à la fumée des fumeurs », dit-il, ajoutant que « le tabagisme n’est plus simplement un problème de santé publique, mais un problème de développement ».
Ainsi, du tabac, de son utilisation, en passant par sa promotion jusque dans l’entourage du fumeur, la loi n° 040-2010/AN du 25 novembre 2010 portant lutte contre le tabac au Burkina-Faso est adoptée. Pour son opérationnalisation et sa mise en œuvre, un certain nombre de textes d’application et d’arrêtés sont pris. Cependant, déplore M. Doye, leur application par l’ensemble des acteurs concernés pose problème. D’où les actions de sensibilisation.
« En matière de lutte contre l’exposition à la fumée du tabac, des actions de sensibilisation ont été menées à l’endroit de certains responsables de lieux publics et transports en commun où il est interdit de fumer au risque d’enfumer d’autres personnes.
Avec l’appui d’Officiers de police judiciaire, un travail remarquable a été fait sur le terrain pour amener les populations au respect de la loi antitabac », cite entre autres actions le membre du Secrétariat technique du comité national de lutte contre le tabac.
L’occasion faisant le larron, il invite les populations à renoncer au tabac, « qui est l’un des rares produits qui tue plus de la moitié de ses consommateurs ». En effet, poursuit-il, tout fumeur doit savoir qu’un bâton de cigarette fumé, réduit la vie de 3 heures 40 mn ; aucun organe dans notre corps n’est épargné : cancers, maladies cardiovasculaires, respiratoires, impuissance chez l’homme, infertilité, etc., sont autant de méfaits engendrés par la consommation du tabac ou l’exposition à sa fumée sur la santé.
Le tabac, aujourd’hui, est de plus en plus prisé, surtout par les plus jeunes. Pourtant, selon les spécialistes de la santé, il fait plus de dégâts sur la santé qu’il n’en procure de bien… L’arrêter semble difficile, mais c’est possible…
Serge Pacôme ZONGO - Burkina 24 - 21/12/2022
https://burkina24.com/2022/12/21/sevrage-tabagique-difficile-mais-pas-impossible