– Nicotine, IMAO et dépendance (29/01/2009)
Le Journal of Neurosciences publiait le 29 janvier 2009 les résultats des travaux de cinq docteurs de l’Université Pierre et Marie Curie (UPCM) à propos du sevrage tabagique : la nicotine seule ne serait pas à l’origine du caractère addictif du tabac.
Quel est l’objet de vos travaux de recherche ?
Nous étudions les mécanismes neurobiologiques de la dépendance aux drogues. Jusqu’ici, la nicotine était généralement considérée comme le principal composé responsable de l’addiction au tabac. Or, nous avions mis en évidence, avec d’autres, que la nicotine seule n’induisait pas les mêmes effets addictifs que les autres drogues sur les animaux de laboratoire. Ces résultats étaient inconciliables avec le pouvoir addictif très puissant du tabac et nous avons tenté de comprendre ce paradoxe.
Notre publication est consacrée précisément à l’étude des adaptations neurobiologiques qui sous-tendent la dépendance au tabac. Nous avons ainsi montré que la nicotine seule ne suffit pas à induire les adaptations que nous avions mis évidence dans le cerveau de la souris, avec les autres drogues, telles que l’amphétamine, la cocaïne, la morphine ou l’alcool.
En revanche, nous avons réussi à révéler ses puissants effets addictifs en l’associant à certains composés présents dans la fumée de tabac. De plus, nous pensons avoir montré, pourquoi la nicotine seule est inefficace et par quels mécanismes ces deux produits agissent de concert, pour conférer au tabac, tout son caractère addictogène.
Comment expliquer qu’il y ait encore des choses à découvrir sur la nicotine et ses effets après des siècles de consommation ?
Vous savez, l’opium est connu depuis 3 000 ou 4 000 ans avant J.-C. Les civilisations du bassin Méditerranéen et du Proche-Orient l’utilisaient déjà pour ses propriétés somnifères et analgésiques. La purification de la morphine, qui est le principal alcaloïde naturel de l’opium, au début du 19e siècle, a ouvert l’ère de la pharmacologie et de la médecine moderne. Pourtant, les mécanismes moléculaires qui sous-tendent son action analgésique n’ont été élucidés que dans les années 70 ! Le 20e siècle a connu des progrès considérables concernant les techniques d’étude. Il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir en biologie cellulaire et en physiologie que nous ne pouvions étudier avant, faute de techniques appropriées.
Les patchs nicotiniques ne sont-ils que placébo ?
Disons que l’industrie pharmaceutique n’a pas forcément intérêt à ce qu’on remette en question l’efficacité des substituts nicotiniques, qu’ils soient sous forme de patch ou de gomme à mâcher. Les études montrent qu’il y a très peu de différences entre l’effet des placébos et l’effet de la nicotine sur la capacité du fumeur à réprimer sa consommation. Au-delà de cette polémique, tout le monde s’accorde à dire que l’efficacité des patchs est mauvaise sur le long terme puisque, au bout d’un an, près de 80 % des fumeurs recommencent à fumer. Ceci étant, notre étude n’est pas une étude épidémiologique. Nous ne travaillons pas sur les patchs, mais sur les mécanismes neurobiologiques de l’addiction au tabac. Néanmoins, nous pensons que nos travaux permettent de comprendre pourquoi les substituts nicotiniques, lorsqu’ils sont le seul traitement, marchent aussi mal chez l’homme.
Pourquoi avoir rejeté si longtemps la faute de la dépendance sur la nicotine ?
Pour des raisons historiques d’abord. La nicotine fut le principal alcaloïde identifié dans les feuilles de tabac et, la communauté scientifique dans son ensemble, considérant que l’hypothèse la plus simple était forcément la meilleure, n’avait pas de raisons d’imaginer que d’autres composés avaient une importance. Ensuite parce que c’est bien la nicotine qui a un pouvoir addictif, mais il se trouve qu’on ne peut le révéler que dans certaines conditions.
Vos études montrent que la nicotine est nocive associée à certaines substances : lesquelles ?
On sait depuis longtemps que la fumée de tabac comprend plusieurs centaines de molécules différentes dont certaines n’ont pas encore été identifiées. Parmi elles, certaines sont des Inhibiteurs de Monoamines oxydases ou IMAO. Ces IMAO augmentent artificiellement les taux d’un neuromédiateur, la sérotonine, ce qui a pour conséquence de désensibiliser un de ses récepteurs, le 5-HT1A. Or, ce récepteur protège les neurones qui produisent de la sérotonine de l’effet de la nicotine. Les IMAO permettent donc à la nicotine de révéler son pouvoir addictif alors que ni la nicotine, ni les IMAO n’ont d’effets addictifs par eux-mêmes. Il faut aussi préciser que si ces expériences relativisent le rôle de la nicotine dans la dépendance au tabac, elles ne relativisent en rien le potentiel addictif de la cigarette. En effet, nous avons montré que les effets neurochimiques induit par la nicotine lorsqu’elle est associée à un IMAO chez l’animal, est équivalent à ceux que l’on observe avec les psychostimulants (cocaïne, amphétamines), les opiacés (morphine, héroïne) ou l’alcool.
Toutes ces substances chimiques : est-ce une façon pour l’industrie du tabac de « fidéliser » ses consommateurs ?
C’est une question intéressante. De nombreux rapports révèlent en effet que les industriels, depuis les années 50 ajoutent des additifs qu’ils présentent comme des rehausseurs d’arômes. Le sucre notamment, est l’additif le plus important en volume dans la cigarette. Les tentatives des industriels s’inscrivent donc évidemment dans l’amélioration de la consommation du produit qu’elles vendent. Comme les industriels d’alcool produisent des petites bouteilles de cocktail en direction des adolescents. En revanche, il est peu probable qu’ils soient conscients des mécanismes neurobiologiques exacts impliqués dans les processus de dépendance. La combustion du sucre par exemple, produit de l’acétaldéhyde dont les propriétés IMAO sont très puissantes.
Comment les traitements alternatifs type hypnose peuvent-ils marcher ?
C’est là toute la différence entre l’homme et la souris. Le développement de la dépendance aux drogues, chez l’homme, résulte de la combinaison de plusieurs paramètres : il y a d’abord un individu avec son histoire personnelle, sa propre « sensibilité » (qu’elle soit génétique ou acquise), il y a un contexte associé à la consommation, et puis il y a le produit. Au laboratoire, nous travaillons sur les propriétés pharmacologiques qui caractérisent une drogue et qui la distinguent notamment des autres substances non addictives tels que les antidépresseurs. Ceci étant, le produit ne détermine pas tout et le risque du passage de l’usage à l’abus naît de la combinaison de tous ces facteurs. Si le paramètre pharmacologique est prépondérant chez un organisme simple comme la souris, les facteurs psychologiques revêtent une importance particulière chez l’homme. Tous les fumeurs ne sont pas identiques et les placébos et/ou les substituts nicotiniques ainsi que les autres alternatives thérapeutiques (psychothérapie…), peuvent parfois donner des résultats positifs. N’oubliez pas que les essais cliniques qui ont précédé la mise sur le marché des patchs ont révélé que 30 % des fumeurs étaient sensibles au placébo…
Quels sont les traitements qu’on peut espérer pour demain ?
Maintenant que nous avons identifié le rôle du récepteur 5-HT1A dans le développement de la dépendance au tabac, nous pouvons espérer des traitements plus ciblés. Il est intéressant de remarquer que l’efficacité des patchs est nettement augmentée lorsque les médecins y associent un traitement antidépresseur. Or, tous les antidépresseurs ont la propriété d’augmenter les taux de sérotonine et de désensibiliser les récepteurs 5-HT1A. Ainsi, tant que le récepteur demeure inactivé, la nicotine peut soulager le fumeur abstinent. On peut supposer que l’association de nicotine et d’une molécule ciblant plus particulièrement ce récepteur permettrait d’avoir des résultats plus positifs.
Cette découverte permettra-t-elle une meilleure prise en charge des fumeurs souhaitant s’arrêter ?
Si l’on considère que les thérapies de substitution sont les plus efficaces chez l’homme alors oui notre découverte, espérons le, permettra peut être de mettre au point des traitements plus ciblés et donc plus efficaces. Néanmoins, les stratégies thérapeutiques restent très discutées par les cliniciens, tabacologues, psychologues et nous ne croyons pas pouvoir trancher cette question. L’idéal serait de trouver comment reverser les adaptations neuronales à long terme induite par la prise répétée de drogue, sans chercher nécessairement à entretenir ce déséquilibre par une stratégie de substitution. Mais nous n’en sommes pas encore là. Jusqu’à présent, nous avons réussi à bloquer le développement de la dépendance chez l’animal mais tout porte à croire qu’une fois que celle-ci s’est installée, elle est irréversible.
29/01/2009
Contacts chercheurs :
Jean-Pol Tassin, Directeur de recherche à l’Inserm (jean-pol.tassin@college-de-france.fr)
Christophe Lanteri doctorant UPMC (christophe.lanteri@college-de-france.fr) 01 44 27 12 37
Sandra Jimena Hernandez Vallejo, docteur UPMC (sandra.hernandez-vallejo@upmc.fr) 01 40 01 13 51