– L’utilisation du narghilé accélère-t-elle la progression vers la consommation de cigarettes chez les jeunes adultes ? (12/01/2015)
Cette étude longitudinale a été réalisée chez 323 étudiants (19,8 ± 1,5 ans, 39,9 % de jeunes femmes). Les données sont issues de deux études d’observation de changement de comportement tabagique (n=111 et n=212), avec évaluation de base et 6 mois plus tard. Le taux de rétention à 6 mois était de 78,9% (n=256). Les perdus de vue n’étaient pas différents statistiquement des autres participants en ce qui concerne l’âge, l’utilisation de narghilé, de dépendance au tabac (échelle HONC), de consommation de cigarettes, d’alcool ou d’autres drogues, mais il y avait un plus fort pourcentage de jeunes hommes que dans l’échantillon étudié (70,6 % vs. 57,3 % ; p=0,046).
La quasi-totalité des étudiants avaient déjà utilisé le narghilé dans le passé (94,7 %), et 34 % l’avaient utilisé dans les 30 jours précédents. Les auteurs ont donc comparé ces jeunes adultes ayant fumé le narghilé au cours des 30 derniers jours, à ceux ne l’ayant pas fait. La comparaison n’a pas montré de différences entre les deux groupes en termes de sexe, ethnicité, statut tabagique des parents, des colocataires, ou des amis, ou en termes de consommation d’alcool. Par contre, ceux ayant fumé le narghilé récemment, étaient plus jeunes, moins dépendants au tabac, avaient fumé moins de cigarettes, mais plus de cannabis au cours des 30 derniers jours. Le niveau de dépendance, la fréquence d’utilisation de cannabis et l’âge ont été utilisés comme co-variables dans les analyses.
Le modèle de régression utilisé pour l’analyse n’a pas montré d’effet significatif de l’âge, du niveau de dépendance au tabac, et de la fréquence d’utilisation de cannabis, sur le nombre de cigarettes fumées au cours des 30 derniers jours, entre l’inclusion et 6 mois plus tard. Les participants qui consommaient un plus grand nombre de cigarettes à l’inclusion, ont rapporté un moindre changement de consommation à 6 mois (β= -0,46 ; p<0,001).
Les données de consommation de cigarettes étaient exprimées en nombre de cigarettes fumées au cours des 30 derniers jours, et nombre de jours où les participants avaient fumé pendant cette période. La consommation dans cette population est assez faible : médiane de 55 cigarettes (de 3 à 426) et une moyenne de 84,8 ± 90,0 cigarettes chez les fumeurs de narghilé (soit une moyenne de 4,6 cigarettes par jour, puisque la moyenne du nombre de jours où ils ont fumé était de 18,5). Chez les non-fumeurs de narghilé, la médiane est de 85 cigarettes (de 1 à 604) et une moyenne de 119,6 ± 129,2 cigarettes (soit une moyenne de 5,6 cigarettes par jour, avec une moyenne de 21,3 jours où ils ont fumé). Les mesures de consommation étant rétrospectives, on peut se demander si cette différence est réellement significative.
Les auteurs rapportent que les non-fumeurs de narghilé ont réduit leur quantité de cigarettes fumées au cours des 30 derniers jours de 31,77 ± 112,94 cigarettes à 6 mois, par rapport à l’inclusion (p<0,001), et que les fumeurs de narghilé ont augmenté leur consommation de 17,53 ± 135,88 cigarettes au cours des 30 derniers jours (non significatif).
En ce qui concerne la fréquence de consommation de cigarettes, ni l’âge, ni la consommation de cannabis n’a eu d’influence, et la dépendance au tabac a eu un effet marginal (β=0,13 ; p=0,055). Les fumeurs de narghilé ont réduit leur fréquence d’utilisation de la cigarette de -2,43 ± 10,80 jours (p=0,048) au cours des 30 derniers jours à 6 mois par rapport à l’inclusion, alors que les non-fumeurs de narghilé l’ont réduit de -6,79 ± 11,96 jours (p<0,001).
Les auteurs concluent que l’utilisation de narghilé au cours des 30 derniers jours (une moyenne de 3 jours/30 ; médiane 2 jours, de 1 à 24 jours selon les sujets) était associée avec une augmentation de la consommation de cigarettes et une plus faible diminution du nombre de jours où ils fument, 6 mois plus tard, par rapport aux jeunes fumeurs de cigarettes n’ayant pas utilisé de narghilé. Et que donc l’utilisation de narghilé accélèrerait la progression vers le tabagisme des jeunes adultes.
Il semble que cette étude ne montre pas grand-chose de solide, et que le fait de trouver des associations statistiquement significatives n’est pas une preuve suffisante dans le cas de cette étude pour affirmer une telle conclusion. La mesure de consommation, qui est faible dans cette population, ne s’appuie que sur des données rétrospectives, et comme les auteurs le font remarquer, la consommation de tabac chez ces jeunes est instable, ce qui nécessiterait donc un suivi plus long pour avoir une meilleure puissance d’analyse.
Jacques Le Houezec Lettre de la SFT n° 57 12/01/2015
Doran N et al. Nicotine Tob Res. 2015 Jan 12. pii : ntu343. [Publication électronique avant impression]
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25586774