– Ploom® la nouvelle cigarette « à nocivité réduite » l’est-elle vraiment ? (30/04/2014)
« Ploom® ». C’est le nom de marque d’une cigarette d’un nouveau genre, une cigarette encore non identifiée dans le paysage du tabagisme contemporain. Ni cigarette « de tabac » ni cigarette « électronique », elle inaugure un nouvel espace commercial : celui des cigarettes avec tabac, mais sans les fumées issues de la combustion de ce même tabac. Après le succès à la fois récent et considérable de la cigarette électronique, c’est là une nouvelle révolution dans l’intoxication. Les fabricants parlent, d’une manière générale, de produits « à nocivité réduite ».
« Nocivité réduite » ? C’est là une formule intéressante à double titre. D’abord parce qu’avec elle, les industriels du tabac reconnaissent – de facto et officiellement – que les cigarettes « traditionnelles » sont des substances nocives. C’est une nouveauté dans la longue histoire de Big Tobacco. Ensuite parce que cette « moindre nocivité », pour vraisemblable qu’elle soit, n’a jamais encore été validée par des autorités sanitaires indépendantes des industriels du tabac. Nous sommes là dans une forme d’espace incertain qui voit des spécialistes de l’addiction au tabac s’opposer sur cette nocivité comparée – et ce en l’absence de tout recul et sans aucun essai clinique de toxicité comparée.
« Ploom® » vient d’être lancée sur le marché français par le géant Japan Tobacco International (JTI). Du fait même de sa nouveauté, la presse économique et celle d’information générale lui ont assuré une publicité gratuite de grande ampleur. On a ainsi décortiqué le sujet. Ni cigarette ni cigarette électronique, il s’agit d’une nouvelle catégorie de produits, des instruments qui vaporisent « du vrai tabac ». Ce n’est pas une cigarette électronique dans la mesure où il n’y a pas de « e-liquides ». Le « vrai tabac » y est « vaporisé » et n’y est pas « brûlé ». Le fabricant explique que son procédé de vaporisation a pour effet de libérer des arômes et de la nicotine, naturellement présents dans le tabac.
En pratique, l’appareil (de forme élégante et léger en main) réalise une vaporisation du tabac à basse température. Il se recharge avec des petites capsules de tabac (on parle ici de « vapods »). En France (et dans un premier temps), cet outil sera exclusivement distribué à travers le réseau des buralistes. « La Ploom® » a déjà une histoire, une histoire offerte aux médias. Elle est « le fruit de l’imagination créatrice et entrepreneuriale de deux jeunes physiciens américains ». Tous deux sont diplômés de l’université américaine de Stanford, « au cœur de la Silicon Valley », un « lieu mythique où est né internet ».
Les deux inventeurs sont Adam Bowen et James Monsees. Ce sont eux qui ont trouvé un moyen pour vaporiser à basse température du tabac encapsulé. Eux aussi qui ont « designé » une première « Ploom® ». Au look, « follement tendance ». En 2011, ces deux inventeurs signent un contrat de coopération exclusive avec JTI qui prend une participation au capital de leur entreprise et développera les ventes dans l’ensemble du monde, hors États-Unis. C’est ainsi que l’on voit apparaître aujourd’hui sur le Vieux Continent (à partir d’une usine de JTI située en Allemagne) la deuxième génération de « Ploom® » associée aux indispensables « vapods ».
Ainsi donc, à la différence des cigarettes et des cigares, le tabac présent dans les capsules (qui ressemblent trait pour trait à celles devenues célèbres et contenant du café) n’est pas brûlé. Associé à de l’eau et du glycol propylène, il est chauffé à 180° C. En résulte une vapeur aromatisée chargée en nicotine, inhalée par l’utilisateur. Les publicistes parlent ici d’un « traitement novateur du tabac ». Ils évoquent aussi « l’incarnation de l’évolution dans l’acte de fumer. » Evolution salvatrice ou pas ?
Le quotidien français Le Figaro a interrogé JTI (le producteur des célèbres Camel® et Winston®). Or JTI ne sait pas. « Nous n’avons pas conduit d’étude sur la toxicité de "Ploom®", reconnaît le fabricant. Le produit n’a été lancé qu’en juillet aux États-Unis et, de toute façon, ce sont les institutions publiques qui conduisent ce genre d’enquête. Notre métier, c’est le tabac, et nous nous positionnons comme un produit du tabac : Ploom® et ses recharges sont vendues en bureau de tabac et porteront des avertissements sanitaires ».
En quelques lignes, tout est dit. Le fabricant fabrique. Il avertit le consommateur que le produit peut être dangereux. Aux « institutions publiques » de faire la part des choses. Que disent-elles ? « Avec ce nouveau produit, l’industrie du tabac, qui a déjà commencé à investir massivement dans l’e- cigarette , va pouvoir récupérer et fidéliser un public qui lui échappait : ceux qui, voulant arrêter de fumer, se sont tournés vers la cigarette électronique, mais ont été déçus », explique le Pr Albert Ouazana, qui a supervisé les recommandations de la Haute autorité de santé française sur le sevrage tabagique.
Pour le Pr Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme, le caractère addictif d’un tel produit « ne laisse guère de doute. « Il y a de la nicotine, il y a du tabac, il y a donc tout lieu de penser qu’elle créera une dépendance ». Et c’est le grand flou pour ce qui, au-delà de la dépendance, concerne la toxicité. Il est bien établi que les dégâts considérables causés par la consommation de tabac (cancers broncho-pulmonaires et pathologies cardio-vasculaires) sont directement associés au phénomène de combustion. C’est cette combustion qui conduit à la production du monoxyde de carbone et de goudrons. Ici, on reste à 180 °C et à la vaporisation. « Il n’y aura pas de dégagement de monoxyde de carbone, reconnaît le Pr Ouazana, mais vu la température, il y aura sûrement un dégagement de certains composants chimiques, même s’il est difficile de savoir lesquels à ce stade ».
Chez Ploom (sans®, c’est aussi le nom de la start-up américaine créatrice du dispositif), on affirme être plus proche du narguilé que de l’e- cigarette. « Mais le narguilé est encore plus toxique que la cigarette, rappelle le Pr Martinet. On pourrait penser que l’eau a un pouvoir lavant mais, en réalité, elle exacerbe l’effet de certains toxiques ».
Plus généralement on retrouve, avec ce nouveau dispositif, l’opposition qui prévaut chez les médecins-experts. Pour le tabacologue Philippe Presle [1], l’affaire est assez. « Avec ce nouveau système, on élimine tous les produits de la combustion du tabac qui sont ceux qui sont gravement dangereux, comme les goudrons qui donnent les cancers, explique-t-il. La nicotine n’est pas dangereuse pour la santé, elle ne donne ni cancer ni infarctus. On est à un niveau de dangerosité, évidemment, infiniment moindre qu’une cigarette classique avec combustion ».
Opinion opposée du Pr Bertrand Dautzenberg, président de l’Office français de prévention du tabagisme, qui dénonce un « marché de dupe ». « L’industrie du tabac commercialise ce produit de façon ambiguë, en faisant croire que ce n’est ni une cigarette ni une e- cigarette , que c’est entre les deux et que ce n’est pas dangereux, accuse-t-il. S’il n’y a pas de combustion, il n’y a certes pas de benzopyrène qui est un des produits cancérigènes du tabac. Mais une partie des autres produits cancérigènes demeurent ».
Certains médias français ont voulu en savoir plus. Ils sont allés jusqu’à interroger le président des buralistes de Paris-Nord. Et voici ce qu’il a dit : « J’ai goûté, j’ai été assez surpris parce que, effectivement, on retrouve des saveurs plus proches de l’authenticité du goût du tabac ». Il ne reste plus qu’à interroger, en France, et ailleurs, les ministres en charge de la santé. Sans oublier la directrice générale de l’organisation mondiale du même nom. Et leur demander pourquoi la puissance publique n’étudie pas, scientifiquement, ce qu’il en est véritablement de la toxicité des produits dont les fabricants expliquent qu’ils sont « à nocivité réduite ». Et, incidemment, pourquoi ils continuent à autoriser la commercialisation de ceux dont la nocivité est entière.
[1] Le Dr Philippe Presles est tabacologue, coordinateur français de l’appel des « 100 médecins en faveur de la cigarette électronique ». Il est aussi l’auteur de « La cigarette électronique. Enfin la méthode pour arrêter de fumer facilement » (Édition Versilio, 2013).
Jean-Yves Nau Revue médicale suisse 2014 ;10:986-987 30/04/2014
http://rms.medhyg.ch/article.php?ID_ARTICLE=RMS_428_0986&DocId=5002&Index=%2Fcairn2Idx%2Frms&TypeID=226&HitCount=22&hits=590+56b+562+49c+498+46c+3fd+3f3+31e+308+22a+126+10f+10d+8c+59+3f+35+31+26+20+8+0&fileext=html