– L’entretien motivationnel (EM) selon de Neckere (01/10/2009)
1. INTRODUCTION
Qui n’a jamais pensé ou n’a jamais entendu dire d’un fumeur qu’« il était résistant », qu’« il n’était pas motivé », ou encore qu’« il ne voulait pas changer » ? Au-delà de l’étiquetage simpliste et néfaste qu’entraîne irrémédiablement ce genre de réflexions auprès d’un soignant voire même, par contagion, au sein de l’ensemble d’une équipe soignante, c’est également la place même de l’intervenant qui est concernée.
En effet, s’il est vrai qu’un thérapeute ne porte pas à lui seul la responsabilité du changement, de telles réflexions ne peuvent qu’amener celui-ci à se placer dans une position haute d’« expert prescripteur » détenteur d’un savoir que le fumeur se doit de respecter s’il veut évoluer, oubliant par là même la question cruciale des valeurs propres du fumeur.
En outre, si l’on se réfère aux multiples ouvrages et guidelines traitant d’une pathologie, dans nombre d’entre eux la question du volet motivationnel est, sauf dans certaines problématiques types, bien souvent simplement évoquée voire même, dans certains cas, passée sous silence.
Loin de nous l’idée de critiquer de tels ouvrages dont l’utilité n’est pas à démontrer et dont le but, expliquer une procédure type ou une conceptualisation relative à une pathologie précise, ne laisse pas place à la présentation approfondie de la question de la motivation. Néanmoins, nous nous posons la question de la réaction d’un thérapeute, a fortiori si celui-ci débute, confronté à un patient qui n’est pas suffisamment motivé pour pouvoir effectuer un changement, et se référant aux ouvrages. L’écart entre la réalité théorique et la réalité de terrain, outre son caractère déconcertant, ne risque-t-il pas de créer un sentiment angoissant de désarroi ?
C’est ainsi que, sujet à ces différentes préoccupations et étant spécialisé dans le domaine des troubles alimentaires, où le travail de la motivation nous semble crucial, nous nous sommes mis en quête d’une approche pouvant, selon nous, répondre à ce type de questionnement. Cette approche, qui nous a permis de mieux cerner les processus impliqués dans la question du changement et nous a livré quelques clés d’un savoir-faire relationnel, est celle de l’entretien motivationnel qui a été développée, dans les années 80, par William Miller et Stephen Rollnick.
Afin de faciliter la compréhension de cette approche, nous commencerons par aborder les questions du changement et de la motivation, à la lumière notamment des travaux de Miller et Rollnick, pour ensuite présenter l’approche de l’entretien motivationnel comme telle.
2. CHANGEMENT DE COMPORTEMENT ET DE MOTIVATION
2.1. Le changement de comportement
Face à quelqu’un qui présente un comportement qui a de nombreuses conséquences néfastes pour lui et pour son entourage, on serait tenté de se demander prioritairement pourquoi cette personne s’obstine dans cette voie. Pourtant, une question qui ouvre davantage le champ des possibles et qui est à la base de l’approche de l’EM serait plutôt de se demander pourquoi une personne change, voire même pourquoi une personne s’engage dans le processus si difficile du changement. Afin d’y voir plus clair, penchons-nous sur quelques éléments de réflexion soulevés par Miller et Rollnick.
2.1.1. Le changement naturel
Le changement fait partie de notre vie quotidienne : vivre, c’est effectuer régulièrement des changements. Par ailleurs, dans nombre de cas, ce changement se fait sans l’apport d’une aide extérieure, et semble être la règle davantage que l’exception. Dans le cas d’un patient, ce type de guérison sans l’aide d’un traitement extérieur a souvent été désigné, dans le passé, sous le terme de « rémission spontanée » et était considéré selon Miller et Rollnick (2006, p. 4) comme « relativement rare et presque comme une anomalie ». Comme le fait remarquer Rossignol (2001), cette catégorisation sous-entend également que les personnes seraient incapables, d’une manière générale, de modifier leur comportement sans l’apport d’une aide extérieure. En outre, Prochaska et DiClemente (1982) ont démontré qu’un changement s’effectue toujours à travers un ensemble d’étapes et de processus. Ceux-ci faisant donc nécessairement partie intégrante du changement, qu’il y ait ou non apport d’un traitement extérieur, il va de soi qu’un traitement, comme par exemple l’EM, doit être envisagé comme un moyen permettant de faciliter le processus naturel de changement.
2.1.2. Intervention et changement de comportement
Comme nous venons de le voir, ce qui se passe après des interventions formelles ne fait que refléter le changement naturel. Cependant, la probabilité qu’un changement se produise pouvant être influencée par des interactions interpersonnelles, celles-ci peuvent donc faciliter ou accélérer le changement. Il semble également qu’une intervention relativement courte puisse conduire à un changement significatif de comportement. A ce propos, Rossignol (2001, p. 12) conclut qu’au vu de nombreuses recherches, il semble que « les interventions brèves représentent tout au moins une alternative valable aux interventions plus longues ».
2.1.3. Intervenant et changement de comportement
Si une intervention, fût-elle brève, peut faciliter ou accélérer le changement de comportement, l’intervenant qui l’effectue a un rôle déterminant quant à l’issue de celle-ci. Ce qui a déjà été largement démontré par Rogers (1959) lorsqu’il s’est penché sur les compétences déterminantes du consultant pour faciliter le changement. Celui-ci a ainsi mis en avant les trois conditions essentielles pour permettre le changement naturel : « être empathique de façon appropriée, chaleureux sans être possessif, et authentique » (Miller et Rollnick, 2006, p. 7). Miller et Rollnick (2006) insistent également tout particulièrement sur l’importance de la juste empathie telle que définie par Rogers. Celle-ci, qui nécessite une écoute réflective bien contrôlée, permet d’éclairer et d’amplifier les propos du sujet sur sa vie et le sens qu’il lui donne, cela sans imposer ce qui vient de l’intervenant. Il en résulte donc que si un style d’intervention empathique peut faciliter le changement, l’absence d’un tel style pourrait entraver celui-ci. L’on voit ainsi à quel point l’intervenant, et plus particulièrement la manière dont il communique, est un déterminant important dans l’issue de l’intervention (abandon, réussite, échec).
2.1.4. Les effets confiance et espoir
Un autre élément qui influencera le changement de comportement est mis en évidence dans les recherches portant sur l’impact de la confiance et de l’espoir tant chez les intervenants que chez les fumeurs.
Ainsi, la confiance a priori d’une personne dans sa capacité de changer de comportement est un assez bon facteur prédictif de la survenue de ce changement de comportement.
Par ailleurs, le concept de la prophétie qui s’auto-réalise (Merton, 1948, cité par Pelletier et Vallerand, 1994) a également permis de démontrer depuis bien longtemps que les croyances et a fortiori, dans le cas qui nous intéresse, la confiance a priori d’un intervenant dans la capacité de changer d’une personne influenceront la survenue d’un changement de comportement.
Ainsi, grossissant le trait, Miller et Rollnick (2006, p. 11) énoncent que les gens « dont les soignants croient qu’ils ont de bonnes chances de changer changent effectivement ». « Et ceux à qui l’on dit qu’on ne s’attend pas pour eux à une amélioration, bien sûr ne s’améliorent pas ».
2.1.5. Les effets du discours du patient
Si, comme nous venons de le voir, la croyance des personnes en leurs capacités de changer est importante pour le changement de comportement, il en va de même quant à ce qu’elles disent du changement. Ainsi, des éléments du discours reflétant la motivation au changement ainsi que l’engagement en faveur de celui-ci sont prédictifs des évolutions ultérieures. A fortiori, des argumentations exprimées contre le changement prédiront une plus faible évolution. Et à nouveau, le style relationnel de l’intervenant influencera considérablement les deux types de discours.
2.2. La motivation, un élément essentiel du changement
Le changement, comme nous venons de le souligner, est assurément constitué de nombreuses facettes qui peuvent être réunies en envisageant « la motivation comme essentielle au changement » [1]. Il semble en effet logique de penser que le degré de motivation des gens pour le changement est prédictif du résultat. Cette motivation peut par ailleurs être influencée tant par des facteurs personnels et interpersonnels que par des interventions spécifiques, et plus particulièrement celle portant sur les styles de communication. En outre, si des interventions brèves ne semblent pas permettre, de par leur courte durée, d’effectuer un remaniement de personnalité ou d’acquérir de nouvelles compétences, il est fort probable qu’elles puissent influencer la motivation au changement. Aussi, il nous semble important de nous attarder quelques instants sur la question de la motivation.
À cette fin nous allons nous intéresser plus particulièrement aux trois éléments essentiels qui constituent la motivation au changement : en manifester le désir, s’en sentir capable et y être prêt.
2.2.1. L’envie du changement
La première caractéristique importante dans la constitution de la motivation au changement réside dans l’intensité avec laquelle un individu veut, désire ou souhaite changer. Miller et Rollnick (2006, p. 12) définissent celle-ci comme « l’importance du changement du point de vue du patient ». Une autre manière de percevoir cette notion est de l’envisager comme le niveau de divergence entre la situation actuelle de la personne et son objectif futur. En se référant à la théorie de l’autorégulation [2], on peut clairement envisager qu’un des déclencheurs du processus de changement soit la perception, par un sujet, d’une situation actuelle comme différant trop de l’idéal désiré.
Miller et Rollnick (2006) insistent également sur le fait qu’un faible niveau d’importance perçue n’a pas à être interprété, ainsi que c’est parfois le cas, comme de la « résistance » ou du « déni » mais correspond davantage à un stade normal dans le processus de changement et a fortiori comme une piste à exploiter pour susciter le changement en développant le niveau de divergence chez le sujet.
Pour finir, les auteurs soulignent également, en se référant aux recherches de Rokeach (1973) sur la nature des valeurs humaines, qu’un individu est attaché à des dizaines de valeurs de référence plus ou moins importantes et que sous cet angle chaque changement particulier n’est à envisager que comme une partie d’un puzzle.
2.2.2. La confiance dans le changement
S’il suffisait simplement d’avoir envie de changer, bien des changements s’effectueraient, mais la réalité de tous les jours nous montre souvent que cela n’est pas si simple. En effet, faut-il encore avoir confiance dans ses capacités de changement. Là encore, la théorie de l’autorégulation3 permet de mieux comprendre ce phénomène. Ainsi, si une personne considère, suite à l’augmentation de la divergence, qu’un changement est important, encore faut-il qu’elle trouve une voie lui permettant de le mettre en œuvre, c’est ce qu’on appelle l’efficacité générale, mais également qu’elle se sente capable de l’emprunter, c’est ce qu’on appelle l’efficacité propre. Dans le cas de figure où ces deux éléments manqueraient, la personne aura alors tendance à réduire l’inconfort engendré par la divergence en modifiant de manière « défensive » ses processus de pensée et ses perceptions.
2.2.3. La disposition au changement
Une forte importance et une forte confiance seraient-elles donc la combinaison gagnante pour le changement ? Là aussi, de nombreux exemples nous montrent que ce n’est pas toujours aussi simple et, surtout, ce serait oublier la complexité de la nature humaine car intervient également ici la dimension des priorités personnelles de chaque individu. Il se peut donc qu’une personne soit désireuse de changer et s’en sente capable mais que ce ne soit pas actuellement ce qui importe le plus pour elle. Miller et Rollnick (2006) insistent également sur le fait qu’il ne faut pas voir, comme c’est parfois le cas, le fait qu’une personne ne sente pas prête comme une défense rigide. A fortiori, si relativiser les priorités est constitutif d’un fonctionnement humain normal, un tel discours peut être d’autant plus erçu comme une information sur l’étape suivante de l’évolution de cette personne.
2.3. L’ambivalence ou le dilemme du changement
Qui n’a jamais hésité entre deux positions, deux partis, deux personnes ? Personne à coup sûr : on a peine à imaginer quelqu’un qui serait toujours totalement clair sur un sujet. L’ambivalence semble même être davantage la norme que l’exception. Ainsi même si ce phénomène se retrouve très fréquemment dans les difficultés psychologiques, il n’en reste pas moins une expérience humaine banale.
Partant de cette constatation, Miller et Rollnick (2006) considèrent que la résolution de l’ambivalence doit être considérée comme une étape naturelle du processus de changement. Selon ceux-ci, c’est lorsqu’une personne est bloquée dans son ambivalence que des problèmes peuvent persister voire s’aggraver. Cela étant, rester bloqué dans son ambivalence n’est pas rare, d’autant que, on le sait, les conflits de type attraction-évitement, ce qui constitue l’ambivalence, sont particulièrement difficiles à résoudre seul. Dans cette optique, le manque de motivation souvent décrié par les intervenants peut être considéré comme le signe d’une ambivalence non résolue. Explorer cette ambivalence permettrait donc de s’attaquer au cœur de cette immobilité et représente donc un problème crucial à résoudre pour que le changement survienne.
2.3.1. La balance décisionnelle
Changer de comportement implique donc de poser un choix entre le statu quo et le changement. Suite à leurs recherches, Janis et Mann (1977) ont démontré qu’avant de faire un choix, une personne va naturellement effectuer une évaluation des avantages et des inconvénients de ce choix. Une bonne manière d’illustrer le concept d’ambivalence est donc de représenter celui-ci sous la forme d’une balance avec deux types de poids de chaque côté de celle-ci : les uns sont constitués par les bénéfices perçus à suivre une certaine ligne de conduite tandis que les autres sont constitués des coûts liés à celle-ci.
Janis et Mann (1977) ont également démontré qu’une telle évaluation en termes de rapport bénéfices/coûts se fera dans huit directions : les gains pour soi-même, les pertes pour soi-même, les gains pour les proches importants, les pertes pour les proches importants, l’approbation des proches importants, leur désapprobation, l’auto-approbation, l’auto-désapprobation. Compte tenu de ces huit directions, il transparaît également que l’ambivalence est fonction du contexte de vie de la personne et que des facteurs socioculturels influenceront ce que les personnes percevront de leur comportement et également leur évaluation des coûts et bénéfices de celui-ci. C’est pourquoi Miller et Rollnick (2006) soulignent qu’il n’est possible de comprendre l’ambivalence d’un individu qu’en l’ancrant dans son contexte social, familial, amical et dans son cadre de vie.
À la lueur de ces différents éléments, on peut voir à quel point il serait dangereux de simplifier à l’excès les processus en jeu lors de la réalisation de cette balance décisionnelle par l’individu. En outre, les gens ne sont généralement pas conscients de ce processus de balance et de plus, lorsqu’ils le sont, il serait réducteur de penser qu’ils prennent des décisions purement rationnelles sur la base de celle-ci. En effet, les différents éléments de la balance décisionnelle ne s’additionnent pas d’une manière simple. Ainsi, la valeur accordée à chacun des items est fluctuante en ce sens que ceux-ci sont liés entre eux et que, lors du changement de l’un d’entre eux, les autres peuvent changer. Ajoutons enfin que, par définition, un bilan sera presque irrémédiablement rempli de contradictions et on imagine dès lors sans peine à quel point l’ambivalence peut représenter une source de stress, de perplexité, de confusion et d’inertie.
2.3.2. Les réponses paradoxales des personnes ambivalentes
Pour finir, Miller et Rollnick (2006) insistent tout particulièrement sur l’apparence illogique des comportements des gens ambivalents. Selon ceux-ci, si les réponses paradoxales des personnes ambivalentes en réaction à certaines situations peuvent être perçues par des intervenants comme incohérentes, cela est seulement dû à une incompréhension par ces derniers de la dynamique de l’ambivalence. Ainsi, on pourrait être tenté de penser que la punition d’un comportement problématique aurait tendance à l’éliminer. Pourtant, une telle conduite risque au contraire de maintenir ou d’exacerber celui-ci, la punition créant du stress qui à son tour risque de renforcer le comportement problématique. Une autre manière d’expliquer cette réaction paradoxale, et qui se vérifie particulièrement lorsque l’on essaie de persuader les gens de changer, est de recourir à la théorie de la réactance psychologique développée par Brehm et Brehm (1981). Selon ceux-ci, lorsqu’un individu perçoit que sa liberté personnelle est menacée ou réduite, il aspire à retrouver une certaine marge de manœuvre. Dans cette optique, un comportement considéré comme problématique devient ou redevient plus attractif si une intervention remet en cause ou met au défi la liberté individuelle de la personne, cette dernière tentant de reconquérir ainsi son sentiment de liberté. Miller, Benfield et Tonigan (1993) [4] ont par exemple constaté que lorsque l’on recourt à des interventions confrontantes, on observe un effet à court terme sur le comportement de dépendance mais que celui-ci est peu persistant sur le long terme. En outre, il semble également qu’une déstabilisation du contexte habituel puisse radicaliser un comportement problématique. Une personne qui aurait perdu toutes ses sources de renforcement positif et de valorisation pourrait ainsi décider de maintenir le comportement dont il attend du réconfort, et cela même si le prix à payer est important.
On voit donc à nouveau ici que le style relationnel de l’intervenant et, a fortiori, le type d’intervention qu’il mettra en œuvre auront toute leur importance : tentez de forcer la résolution de l’ambivalence dans une direction et vous vous exposerez à une réponse paradoxale, voire même à un renforcement du comportement visé.
2.4. Aider au changement
Comme nous venons de le voir, le changement de comportement, même s’il se produit régulièrement de manière naturelle, n’en reste pas moins une démarche complexe sous-tendue par de nombreux processus et ancrée dans de multiples dimensions. Par ailleurs, si rester bloqué dans son ambivalence est également très commun, y persister trop longtemps peut devenir source de frustration. En outre, si résoudre l’ambivalence peut être une clé du changement, nous avons vu que notre manière d’interagir avec une personne peut dans certains cas provoquer des réactions paradoxales. Alors comment faire en tant qu’intervenant pour susciter le changement face à une personne aux prises avec un comportement problématique ? Nous allons maintenant présenter quelques pistes suggérées par Miller et Rollnick (2006).
2.4.1. Partir à la découverte de la motivation d’un individu
On ne peut en douter, toute personne est toujours motivée vers quelque chose. Là où les choses peuvent se compliquer et déboucher irrémédiablement sur un conflit, c’est lorsque deux personnes qui ont affaire ensemble sont motivées envers des buts différents. Si l’on en vient effectivement au conflit, il sera d’autant plus facile pour un de ses acteurs de penser que la personne en face de lui ne fait vraiment pas preuve de motivation, ce qui, dans le cadre d’une relation d’aide, aura pour seule conséquence de déboucher sur une impasse.
Selon Miller et Rollnick (2006, p. 21), d’une manière générale, la bonne question à se poser ne serait donc pas « Pourquoi cette personne n’est-elle pas motivée ? », mais davantage « Pourquoi cette personne pourrait-elle être motivée ? ». Selon ces derniers, il est illusoire de penser que l’on peut connaître d’entrée de jeu les avantages et les désavantages propres à la situation de la personne qu’on rencontre, ou encore l’importance qu’elle accorde à chacun de ces différents facteurs.
Par ailleurs, toute personne a des attentes concernant les résultats probables de certains choix, positifs ou négatifs, et celles-ci sont propres à chaque individu. En outre, il existe fréquemment plusieurs moyens pour un individu d’atteindre un objectif souhaité.
La motivation pouvant varier avec les buts et les moyens propres à chacun, on voit donc à quel point « découvrir et comprendre les motivations d’un individu est une étape importante dans le processus de changement » [5]. Dans cette optique, il est beaucoup plus productif d’explorer ce que la personne souhaite pour elle plutôt que de s’acharner sur la raison qu’oppose une personne à un changement particulier. Cela ne signifie nullement qu’on ignore la question du changement mais plutôt que l’on s’occupe du contexte du changement. Cela est d’autant plus important que, dans certains cas, un changement de comportement ne se produira que lorsqu’un individu aura perçu que ce changement représente un bon moyen pour atteindre ou préserver quelque chose qui a vraiment de la valeur pour lui.
En conséquence, l’intervenant aura tout intérêt à s’intéresser chez le sujet aux questions suivantes : Comment voit-il le statu quo et le changement ? Qu’attend-il de l’un et de l’autre ? Qu’est-ce qui est vraiment important pour lui ? Quels comportements précis est-il prêt à changer ? Quels sont ses objectifs personnels de changement ? Et finalement, quelles solutions est-il prêt à mettre en place ?
2.4.2. Éviter le réflexe correcteur
Selon Miller et Rollnick (2006), il est commun de vouloir redresser ce qui nous semble de travers : quand les gens perçoivent une différence entre ce que les choses sont et ce qu’elles devraient être, ils ont tendance à vouloir réduire cet écart. Si l’intensité de cette tendance est fonction de l’individu et du contexte, il est possible qu’elle soit particulièrement présente chez les personnes travaillant dans la relation d’aide ou l’enseignement parce qu’il est fréquent que ce désir les ait amenées à poser leur choix professionnel. Ce « réflexe correcteur » [6] chez l’intervenant pourra prendre les formes suivantes : blâmer, condamner, punir, démontrer, argumenter ou, dans un style moins « combatif », proposer des solutions alternatives.
Lorsque que quelqu’un semble faire fausse route ou simplement errer, on peut donc être tenté de le remettre dans le droit chemin. Si cette intention est louable, Miller et Rollnick (2006) insistent néanmoins sur le fait qu’il est important de pouvoir maîtriser ce réflexe correcteur. En effet, comme nous l’avons déjà vu, chaque personne peut diverger quant à sa perception du juste chemin et, par ailleurs, ce genre de comportement peut engendrer, tout particulièrement chez des personnes ambivalentes, des réactions paradoxales. Un effet contre-productif du réflexe correcteur est que ce genre d’attitude face à des personnes ambivalentes va les pousser à défendre l’option inverse. L’interaction entre les individus ne fera alors que refléter l’ambivalence de la personne, en ce sens que chacun des acteurs de cette interaction reflétera en miroir une des faces de l’ambivalence. Or, la psychologie sociale nous apprend que lorsqu’une personne défend un point de vue, elle y est ensuite davantage attachée. Cette constatation est expliquée par la théorie de la perception de soi de Bem (1967, 1972) selon laquelle « les individus viennent à connaître leurs attitudes, émotions et autres états intérieurs partiellement en inférant ceux-ci des observations de leurs propres comportements ou des circonstances dans lesquelles ce comportement est adopté » [7, 8]. Ce qui pourrait se traduire en ces termes : « quand j’entends ce que je raconte, j’apprends ce que je crois » [9]. Ainsi, si la personne est amenée à défendre le côté opposé de son ambivalence face à celui exprimé par l’intervenant et également à mettre en exergue les faiblesses de la proposition de l’intervenant, alors la probabilité que la solution amenée par l’intervenant soit mise en place décroît. La conséquence d’une telle interaction, induite par l’intervenant, se soldera probablement par le fait que la personne adoptera préférentiellement le comportement problématique. On voit donc plus que jamais à quel point il est crucial pour l’intervenant de maîtriser son réflexe correcteur.
2.4.3. Aider la personne à exprimer un discours-changement
Comme nous l’avons vu, une personne sera plus attachée à un point de vue après qu’elle ait défendu celui-ci et la manière dont l’intervenant communiquera avec un patient risque d’augmenter l’intensité d’un comportement problématique si celui-ci ne maîtrise pas le réflexe correcteur. Dans la même optique, plus une personne exprimera un désir croissant de changement, plus il y aura de chances que ce changement se réalise. En outre, nous avons également vu que l’ambivalence, qui est une étape nécessaire du changement, naît de la divergence entre la réalité actuelle et l’avenir espéré. En ce sens, le défi pour l’intervenant résidera donc dans le fait d’accroître puis de résoudre l’ambivalence en faisant émerger cette divergence et en explorant les valeurs et préoccupations personnelles du sujet. Cela est d’autant plus crucial que « quand un comportement entre en conflit avec une valeur essentielle, c’est généralement le comportement qui change » [10]. Le discours-changement, qui peut s’apparenter à un discours d’ « auto motivation » [11], consistera donc habituellement en un discours exprimé par le sujet et renvoyant aux inconvénients du statu quo, aux avantages du changement, à l’optimisme appliqué au changement ou encore à l’intention de changer.
2.4.4. En conclusion
Le postulat de base de l’entretien motivationnel réside dans le fait que, tout comme il est possible de conseiller une personne de telle façon que celle-ci soit amenée à exprimer de la résistance ou des arguments contre le changement, il est également possible d’interagir avec celle-ci afin de faire émerger un discours-changement et ainsi de favoriser l’engagement de la personne dans la voie du changement. Dans cette optique, les arguments en faveur du changement doivent être exprimés par le patient. Pour aider la personne, il s’agit donc davantage de « danser » avec elle plutôt que de « lutter » contre elle (Miller et Rollnick, 2006). En ce sens, le changement peut être facilité par notre mode de communication. Ainsi, une communication favorisant la divergence entre la réalité actuelle et l’avenir espéré, et, par là, faisant émerger les raisons personnelles de changer, sera propice au changement de comportement.
3. APPROCHE DE L’ENTRETIEN MOTIVATIONNEL
3.1. Développement
L’entretien motivationnel (EM) est une approche visant à aider les gens à changer qui a été développée par deux psychologues, William R. Miller et Stephen Rollnick, et qui est apparue au cours des années 80 aux États-Unis et au Royaume-Uni. Lors sa première description clinique (Miller, 1983), l’entretien motivationnel était appliqué aux problèmes de boisson. Par la suite, l’impact de cette approche au niveau de la recherche et de la clinique dans les champs des dépendances et des problèmes de santé fut tel que celle-ci se développa à un niveau international. Selon Arkowitz et al. (2008), plusieurs raisons peuvent facilement expliquer cet engouement.
Tout d’abord, cette approche aborde la question de la résistance au changement, problématique qui est commune à toutes les thérapies. Ensuite, la flexibilité de cette approche fait que celle-ci peut être utilisée de manière isolée, ou en combinaison ou en adjonction d’autres thérapies.
De nombreuses études ont également démontré l’efficacité de cette approche dans le domaine des dépendances et des comportements de santé. Pour finir, il a été démontré que l’entretien motivationnel est transmissible et que celui-ci a des effets thérapeutiques significatifs en quelques séances.
Enfin, si l’approche de l’entretien motivationnel s’est rapidement diffusée dans le domaine des dépendances aux substances et des problèmes de santé, elle tarda à s’étendre en dehors de ces deux champs d’application. Ce constat ne s’applique néanmoins plus dans le champ plus large des
psychothérapies où on ne peut que constater qu’un intérêt croissant pour cette approche a émergé depuis plusieurs années, au vu des présentations de l’approche au sein de nombreux symposiums et conférences portant sur la psychothérapie et des différentes études réalisées ou en cours [12].
3.2. Fondements théoriques et définition
à un niveau théorique, Miller et Rollnick explicitent l’ancrage de l’entretien motivationnel dans la thérapie centrée sur le client développée par Carl Rogers (1951, 1959) et reconnaissent l’influence de concepts déjà existants tels que le modèle transthéorique du changement de Prochaska et DiClemente, la théorie de l’auto perception de Bem, la balance décisionnelle de Janis et Mann, les recherches de Rokeach sur les valeurs propres et la théorie de la réactance psychologique de Brehm.
Miller et Rollnick (2002, p. 25 ; traduction française : 2006, p. 31) définissent l’entretien motivationnel comme « une méthode directive, centrée sur le client, pour augmenter la motivation intrinsèque au changement par l’exploration et la résolution de l’ambivalence ». Cette méthode peut être utilisée avec des adolescents et des adultes, dans un set up individuel ou de groupe [13]. Par ailleurs, à travers cette courte définition, plusieurs points fondamentaux de l’approche peuvent être soulignés.
Premièrement, on retrouve clairement l’héritage de Carl Rogers et de ses collègues dans l’accent mis sur la compréhension à la fois du cadre de référence interne du patient et de ses inquiétudes actuelles ainsi que de l’inadéquation entre ses comportements et ses valeurs. En outre, dans les deux approches le thérapeute crée les conditions pour que le patient puisse se développer et changer par une attitude empathique et une perception positive inconditionnelle du patient.
Deuxièmement, l’entretien motivationnel peut être vu comme « une thérapie centrée sur le client avec un twist » [14] en ce sens que l’EM a des objectifs bien précis qui sont la réduction de l’ambivalence, qui est considérée comme naturelle face à toute perspective de changement, et l’augmentation de la motivation intrinsèque au changement. L’EM est donc à la fois centré sur le client mais également directif. Dans cette optique, un thérapeute utilisant l’EM créera une atmosphère au sein de laquelle le client devient l’avocat principal du changement tout autant qu’il en est l’acteur fondamental. En d’autres termes, comme le souligne Rollnick et al. (2009) un praticien utilisant l’EM « mènera la discussion de façon à la guider, en veillant particulièrement à aider le patient à prendre ses propres décisions sur son changement de comportement » [15].
Troisièmement, les deux auteurs insistent tout particulièrement sur le fait que l’EM ne peut se résumer à un ensemble de techniques. En effet, selon ceux-ci, l’EM « n’est pas quelque chose qu’on fait aux gens » mais « plutôt une façon d’être pour et avec eux ¾ une approche pour faciliter la communication qui fait émerger un changement naturel » [16] et donc certainement pas un ensemble de recettes pour pousser les gens à faire des choses contre leur envie. Il est donc important de replacer l’EM dans l’esprit qui est le sien et qui réside dans la collaboration, l’évocation et l’autonomie, s’opposant en cela à une vision confrontante, éducative et autoritaire. Sans cet esprit, les auteurs insistent sur le fait qu’il est possible pour un praticien d’utiliser les méthodes de l’EM mais que cela ne serait néanmoins pas de l’EM.
3.3. Résistance, discours-changement et discours-maintien [17]
En parlant de “consonance” et de “dissonance” pour désigner les deux pôles d’un continuum décrivant l’évolution à chaque instant d’un entretien, de l’alliance entre interlocuteurs, Miller et Rollnick (2006) nous renvoient également à une métaphore expliquant à elle seule la philosophie de l’EM, celle-ci est celle de la “danse” opposée à la “lutte” entre deux interlocuteurs.
Les réactions du fumeur doivent donc être comprises dans le contexte de la relation d’aide et vont être influencées par la manière dont l’intervenant y répond. En ce sens, certaines réactions du patient, tout particulièrement sa résistance et son discours-changement, vont être des marqueurs de la dissonance et de la consonance, tout autant donc, comme nous l’avons déjà vu, que des facteurs prédictifs significatifs de la probabilité qu’un comportement change. En ce sens, l’EM renforce le discours-changement et réduit la résistance. Il est à noter que la résistance, le discours-changement et le discours-maintien concernent spécifiquement un changement donné en ce sens qu’un fumeur, par exemple, peut être résistant quant à l’idée d’arrêter le cannabis mais être motivé pour arrêter la cocaïne.
3.3.1. La résistance
Pour Miller et Rollnick (2006), le terme résistance décrit certaines formes de réponses des fumeurs (argumenter, interrompre, nier, ignorer) qui surviennent dans le contexte des interactions personnelles et sous l’influence de ces dernières.
En ce sens, le comportement de résistance « est le signal d’une dissonance dans la relation de conseil » [18].
Les causes de cette dissonance peuvent être multiples : différences d’objectifs et d’aspirations entre les interlocuteurs, disparité entre la stratégie de l’intervenant et la préparation du patient, colère ou frustration préalable d’un interlocuteur, impasses relationnelles entre interlocuteurs, méprises sur les intentions de l’autre, absence d’accord sur les rôles de chacun. Comme nous l’avons déjà évoqué, la résistance est également « le discours qui signale l’éloignement vis-à-vis d’un changement particulier » [19] et se traduira par l’expression des avantages du statu quo, des inconvénients du changement, de l’intention de rester ainsi et du pessimisme concernant le changement. Miller et Rollnick (2006) insistent fortement sur le fait que les styles et les comportements de l’intervenant peuvent faire naître ou renforcer la résistance du patient. Ces types de réactions de l’intervenant appelés par les auteurs « plaidoyer » sont : argumenter en faveur du changement ; jouer un rôle d’expert ; critiquer, culpabiliser, blâmer ; cataloguer, étiqueter ; être pressé ; affirmer sa prééminence. Pour finir, comme le font remarquer Lécallier et Michaud (2004), la résistance n’étant donc pas à considérer comme un signe de mauvaise volonté ou comme une caractéristique propre et donc prévisible de la psychopathologie du patient mais plutôt comme l’indicateur d’une interaction non appropriée entre soignant et patient, elle est donc « un défi thérapeutique à relever » [20].
3.3.2. Le discours-changement
À l’opposé de la résistance, le discours-changement, signal d’une consonance dans la relation d’aide, réside en des « déclarations d’auto-motivation » [21] du fumeur et « reflète le mouvement du sujet vers le changement » [22]. En ce sens, il est le négatif de la résistance et se traduira par l’expression des inconvénients du statu quo, des avantages du changement, de l’intention de changer et de l’optimisme concernant le changement. Cette notion a évolué suite aux travaux de Paul Amrhein (2003) [23] partant d’une analyse psycholinguistique de séances d’EM.
Le terme discours-changement est utilisé depuis lors pour regrouper six catégories de déclaration d’auto motivation : désir, capacité, raisons, besoins, engagement et premiers pas. Ces six aspects sont un processus séquentiel dans lequel les phrases exprimant désir, capacité, raisons et besoins ne sont pas directement prédictives d’un changement de comportement mais représentent un préalable à l’augmentation de la force de l’engagement qui, elle, est prédictive d’un changement de comportement. Celle-ci débouchera sur la catégorie appelée premiers pas, qui comporte des phrases indiquant que la personne a mis en œuvre des actes spécifiques vers l’objectif de changement. Cette dernière catégorie est également, cela va de soi, directement prédictive d’un changement de comportement.
3.3.3. Le discours-maintien
Ce type de discours contient également des phrases de désir, capacité, raisons, besoins et engagement mais celles-ci sont orientées vers le statu quo.
Cette notion est relativement nouvelle dans l’EM en ce sens qu’initialement on considérait qu’une personne qui n’allait pas vers le changement exprimait de la résistance. Cette évolution est due au fait que cette vision des choses ne cadrait pas avec une notion importante dans l’EM, qui est le respect de la personne. Ainsi, dans le cas du discours-maintien, la personne est en parfaite adéquation avec ses valeurs et exprime les arguments en faveur du statu quo. Dans cette optique, le discours de la personne reflète totalement son choix et il ne faut donc pas assimiler cela à de la résistance générée par une dissonance dans la relation d’aide.
3.4. Esprit, principes généraux et stratégies
Comme nous l’avons vu plus haut, Miller et Rollnick (2006) insistent sur le fait qu’il est fondamental de comprendre l’esprit d’ensemble de l’EM. Par ailleurs, comme le font remarquer Lécallier et Michaud (2004), s’il est sûr que les techniques principales qu’utilise l’EM ne lui sont pas spécifiques, ses stratégies et ses objectifs quant à eux lui sont propres. On voit donc ici à quel point le terme « approche » prend tout son sens et c’est afin de mieux cerner celle-ci que nous allons maintenant nous attarder quelques instants sur ses principaux éléments constitutifs.
3.4.1. L’esprit de l’entretien motivationnel
Comme nous l’avons déjà évoqué, l’EM est moins un ensemble de techniques qu’un savoir-faire relationnel dont l’esprit puise dans la compréhension de la relation à l’autre et de la nature humaine. En ce sens, il est fondamental lors de l’apprentissage de l’EM, tout autant que dans sa mise en œuvre, de comprendre l’esprit de collaboration, d’évocation et d’autonomie au sein duquel s’ancre celui-ci.
3.4.1.1. La collaboration
Selon Miller et Rollnick (2006), « la collaboration est certainement une composante fondamentale de l’entretien motivationnel » [24]. En ce sens, l’EM consiste en un partenariat entre l’intervenant et le fumeur, prenant en compte l’expertise et les points de vue de ce dernier et s’ancrant ainsi dans une guidance plutôt qu’une contrainte au changement. En d’autres termes, « l’entretien motivationnel implique l’exploration plutôt que l’exhortation, et l’étayage plutôt que la persuasion ou l’argumentation » [25]. Il s’oppose en cela à la confrontation que l’on retrouve au sein de l’esprit du conseil directif.
3.4.1.2. L’évocation
En accord avec le rôle de collaboration endossé par l’intervenant, le ton de celui-ci n’est pas celui de la personne qui impose mais bien de celle qui explore les ressources et la motivation au changement en mettant au jour les perceptions, les buts et les valeurs du patient. Il s’oppose en cela à l’éducation que l’on retrouve au sein de l’esprit du conseil directif. Il est à noter que Miller et Rollnick (2006) font remarquer que la racine latine « educare » du verbe éduquer signifie « tirer vers l’extérieur » et que c’est cette définition de l’éducation qui comprend des aspects socratiques qui représente une analogie adaptée pour l’entretien motivationnel.
3.4.1.3. L’autonomie
Selon Miller et Rollnick (2006), « l’autonomie de chacun doit être respectée » [26]. Cela implique donc la reconnaissance et l’affirmation, par l’intervenant, du droit et de la capacité du client à s’autodéterminer et à diriger sa vie. En ce sens, l’intervenant aura pour tâche de faciliter un choix éclairé et son but final sera « d’augmenter la motivation intrinsèque, afin que le changement ne soit pas imposé de l’extérieur mais issu de l’intérieur de la personne, et serve ainsi ses buts et ses valeurs de référence » [27]. L’esprit de l’EM s’oppose en cela à l’autorité que l’on retrouve au sein de l’esprit du conseil directif.
3.4.2. Les quatre principes généraux
Comme le font remarquer Lécallier et Michaud (2004), les principes généraux de l’EM ont été affinés depuis leur description originelle par Miller en 198328 et leur description dans la première édition de l’ouvrage de référence en 1991 [29]. C’est ainsi que, dans la seconde édition de cet ouvrage, Miller et Rollnick (2002) décrivent quatre grands principes pratiques, résultant de cet affinement progressif et qui sous tendent l’EM. Comme le fait remarquer Rossignol (2001), ces quatre principes généraux « constituent les balises qui nous aident à mieux comprendre l’EM comme un style d’intervention plutôt qu’un amalgame de techniques » [30]. En ce sens, ces principes définissent les attitudes de l’intervenant au cours de la conduite de l’entretien.
3.4.2.1. Exprimer de l’empathie
Comme l’expliquent Miller et Rollnick (2006), l’écoute réflective ou la juste empathie, comme l’a explicité Carl Rogers, est « le fondement sur lequel sont bâties les compétences cliniques à l’entretien motivationnel » [31] et ce style de communication empathique, sous-tendu par le principe d’acceptation, se retrouve tout au long du processus de l’EM.
Comme le décrivent Arkowitz et Miller (2008) [32], l’empathie implique une attitude non jugeante de la part du praticien, au travers de laquelle ce dernier essaie de voir le monde depuis le point de vue du client, sans émettre de critiques ou de désapprobations. Cela permettant de mieux comprendre les comportements de celui-ci. Il est à noter que cela ne signifie pas non plus que le thérapeute cautionne ou approuve les comportements du patient mais juste que cela permet de mieux comprendre les comportements, les pensées et les émotions de celui-ci en les inscrivant au sein de son cadre de référence personnel.
Pour Miller et Rollnick (2006), l’attitude d’acceptation et le respect fournissent les moyens du changement en ce sens qu’ils construisent une alliance thérapeutique et soutiennent l’estime de soi du patient. Néanmoins, pour ce faire, ils insistent sur le fait que l’écoute réflective maîtrisée est fondamentale et que l’ambivalence doit être considérée comme un processus normal.
3.4.2.2. Développer la divergence
Comme le décrivent Arkowitz et Miller (2008), la motivation est liée à la divergence entre les comportements actuels du fumeur et ses valeurs. Ainsi, la prise de conscience de ces divergences et de l’inconfort qu’elles entraînent peut augmenter la motivation au changement. Dans cette optique, l’intervenant reflétera les divergences entre les comportements et les valeurs du patient. Néanmoins, l’intervenant sera tout particulièrement attentif aux arguments en faveur du changement exprimés par le patient, ceux-ci représentant le chemin vers la sortie de l’ambivalence. C’est en cela, selon Miller et Rollnick (2006), que l’EM commence à se différencier de la traditionnelle « relation d’aide centrée sur la personne », en ce sens que l’« entretien motivationnel est intentionnellement directif, dirigé vers la résolution de l’ambivalence, dans le but d’aider au changement » [33]. Si un entretien en EM peut être totalement guidé par le fumeur, par exemple pour aider les gens à faire des choix difficiles dans leur vie, il n’en reste pas moins que l’EM est « spécifiquement conçu pour aider les gens à sortir de leur immobilité, à quitter leur ambivalence passée pour adopter un nouveau comportement plus « positif » [34, 35] .
3.4.2.3. Rouler avec la résistance
Comme nous l’avons déjà évoqué, dans l’EM, la résistance au changement est considérée comme normale et faisant partie du processus de changement. Arkowitz et Miller (2008) considèrent que la résistance est une source d’information sur l’expérience vécue par le patient davantage qu’un obstacle à surmonter en ce sens que l’ambivalence nous informe sur les espoirs, les désirs et les peurs rencontrés par celui-ci. Dans cette optique, l’intervenant doit essayer de comprendre et de respecter les deux faces de l’ambivalence en se plaçant du point de vue du patient et accueillir avec une attitude de respect et d’acceptation les arguments contre le changement. Toujours selon ceux-ci, cela peut être une « profonde expérience » [36] pour un fumeur parlant des avantages du statu quo quant à son problème que de se retrouver face à un intervenant qui écoute et répond avec compassion sans se transformer en avocat du changement.
Pour Miller et Rollnick (2006), la résistance représente un signal pour que l’intervenant modifie son attitude et en ce sens il faut éviter le plaidoyer pour le changement ou encore de s’opposer directement à la résistance. Au contraire, l’intervenant doit inviter le patient à de nouveaux points de vue, ce dernier étant la première source des réponses et des solutions. Rouler avec la résistance implique donc « d’amener la personne à devenir acteur dans le processus de résolution de ses problèmes » [37] et permettra de désamorcer la résistance plutôt que de l’amplifier.
3.4.2.4. Renforcer le sentiment d’efficacité personnelle
Comme nous l’avions déjà évoqué dans la première partie précédemment parue de cet article, le crédit qu’une personne a quant à sa capacité de changer est un élément important de la motivation. En outre, nous avons également vu que le crédit de l’intervenant quant à la capacité de changer d’un patient favorise le changement. Dans cette optique, selon Arkowitz et Miller (2008), l’intervenant devra renforcer le sentiment d’efficacité personnelle du patient, c’est-à-dire la croyance dans le fait qu’il peut mettre en place les différentes actions nécessaires et réussir à accomplir un changement. Si bien souvent les gens ont les ressources et les connaissances nécessaires à l’accomplissement d’un changement qu’ils ont décidé d’entreprendre, dans le cas contraire, l’intervenant se conduira comme un guide ou un consultant. Dans ce cas, Miller et Rollnick (2006) nous rappellent que « le sentiment d’efficacité personnelle est le pendant de la responsabilité du client dans son changement » [38] en ce sens que « l’entretien motivationnel n’épouse pas la vision d’un changement que le consultant opérerait sur son fumeur » [39]. Dans cette optique, en cas de désir de changement chez le fumeur, l’intervenant pourra proposer son aide. Pour finir, Miller et Rollnick (2006) soulignent également le fait qu’un individu peut également être encouragé par le succès d’autrui ou encore par ses expériences antérieures personnelles de changement de comportement réussi.
3.4.3. Les stratégies de base
En 2002, Miller et Rollnick ont décrit des stratégies de base qui permettent l’application des principes généraux dans le style relationnel caractéristique de l’EM. Les auteurs ont également divisé l’EM en deux phases :
– Phase 1 : construire la motivation au changement
Dans cette phase, le patient est ambivalent à propos du changement et sa motivation peut être insuffisante pour réaliser un changement. Les objectifs de l’intervenant seront donc de résoudre l’ambivalence et de construire la motivation intrinsèque au changement. Pour ce faire, l’intervenant se focalisera principalement sur l’importance du changement pour le patient et également sur la confiance que celui-ci a dans ses capacités de changement. L’intervenant s’efforcera donc de renforcer l’importance, la confiance ou les deux. Il est à noter que, dans la majorité des cas, l’intervenant travaillera ces deux aspects en parallèle ou en alternance.
– Phase 2 : renforcer l’engagement au changement
Cette phase débute lorsque le patient montre des signes de dispositions au changement tels que, par exemple, un affaiblissement de la discussion autour du problème, une augmentation de la discussion autour du changement, des questionnements sur le changement ou encore une anticipation de la vie future qui inclurait les changements souhaités. Durant cette phase, l’intervenant se consacrera principalement à renforcer l’engagement au changement ainsi qu’à aider le patient à développer et implémenter un plan de changement.
Les stratégies de base que nous allons présenter se retrouveront tout au long de ces deux phases dans des proportions différentes et seront complétées par des stratégies complémentaires adaptées aux objectifs de chaque phase.
Comme le font remarquer Arkowitz et Miller (2008), si nombres de stratégies utilisées en EM, telles que poser des questions ouvertes, pratiquer l’écoute réflective, valoriser, résumer, proviennent directement de la thérapie centrée sur le client de Carl Rogers, il en va tout autrement pour la méthode consistant à susciter le discours-changement. Cette dernière, intentionnellement directive, est spécifique à l’EM.
3.4.3.1. Poser des questions ouvertes
S’opposant aux traditionnelles questions fermées utilisées dans le recueil d’information, elles font émerger les préoccupations du patient. L’intervenant, par l’utilisation de questions ouvertes sélectives et de reflets, centrera le patient sur les domaines qui semblent importants pour le travail de l’ambivalence et du changement. En règle générale, il est conseillé de poser une question ouverte posant le thème de l’élaboration et de poursuivre par une écoute réflective mais également de ne pas poser plus de trois questions, fussent-elles ouvertes, successivement.
3.4.3.2. L’écoute réflective
Selon Miller et Rollnick (2006), une des compétences les plus importants et les plus exigeantes requises par l’EM réside dans l’écoute réflective. « L’essence même de l’écoute réflective est d’approcher au mieux ce que veut dire celui qui parle » [40]. L’écoute réflective, qui comporte plusieurs niveaux de reflets, permet donc d’aider les gens à verbaliser ce qu’ils veulent dire et à transmettre ce qu’ils ressentent de manière plus explicite. Cette écoute réflective peut également être un processus stratégique actif, directif, en ce sens que l’intervenant décide, par exemple, de ce qu’il reflète, des termes qu’il utilise. Dans l’EM, par exemple, on s’attardera préférentiellement à refléter le discours-changement, pour que les personnes entendent au moins une deuxième fois leurs affirmations.
3.4.3.3. La valorisation
L’intervenant valorise fréquemment le patient sous la forme de déclaration d’appréciation ou de compréhension afin de l’encourager et de le soutenir durant le processus de changement. Cela permet donc de construire la relation et également de renforcer l’élaboration ouverte par le patient. Comme le font remarquer Lécallier et Michaud (2004), cela permet également de renforcer le sentiment d’efficacité personnelle et l’estime de soi du patient. En outre, toujours selon ceux-ci, la question de l’ambivalence peut être intégrée dans la valorisation, lorsque l’intervenant reconnaît la responsabilité et la liberté de choix. Ce faisant, cela favorise la diminution de la résistance et l’émergence du discours-changement.
3.4.3.4. Résumer
Les résumés ont un rôle important tout au long des différentes sessions. Si, bien sûr, ils permettent tout d’abord de montrer au patient que l’intervenant l’a bien écouté, ils peuvent également servir à lier entre elles certaines parties ainsi qu’à renforcer certains éléments. Dans cette optique, comme le font remarquer Lécallier et Michaud (2004), « de courtes et fréquentes récapitulations permettent de travailler les deux versants de l’ambivalence, de sélectionner les éléments motivationnels et de les faire réentendre au patient » [41]. Les deux auteurs soulignent également que celles-ci autorisent le patient à apporter des modifications ou à développer le tableau.
Pour finir, les résumés peuvent donc être de trois types : cumul, lien et transition.
3.4.3.5. Susciter le discours-changement
Comme le font remarquer Miller et Rollnick (2006), les quatre méthodes présentées ci-dessus sont les stratégies de base de l’EM mais elles ne permettent pas nécessairement au patient de trouver une voie pour sortir de son ambivalence. En utilisant uniquement celles-ci, on risque de se retrouver à tourner en rond. Cette cinquième méthode, qui, nous l’avons précédemment dit, est consciemment directive, a pour objectif de résoudre l’ambivalence. Dans cette cinquième méthode, l’intervenant « suscite intentionnellement le discours-changement sans devenir un avocat pour le changement » [42]. Si chacune des quatre autres stratégies peut être mise au service de cette cinquième méthode, l’intervenant posant des questions ouvertes pour susciter le discours changement, explorant et reflétant ce que le patient offre, et fournissant des résumés réunissant les thèmes de discours-changement, il n’en reste pas moins que cette cinquième stratégie a également recours à des méthodes qui lui sont spécifiques. Ces méthodes [43] propres pour susciter le discours-changement sont : solliciter par des questions ouvertes orientées, utiliser la règle de l’importance, explorer la balance décisionnelle, élaborer le discours-changement, questionner les extrêmes, regarder en arrière, se projeter dans l’avenir, explorer les objectifs et valeurs.
3.5.1. L’entretien motivationnel et le modèle transthéorique du changement de comportement
Beaucoup de gens ont tendance à penser que l’EM est directement dérivé, voire même est une application, du modèle transthéorique du changement de comportement (MTC) de Prochaska et Di Clemente (1994). Cette confusion est compréhensible car de tous les modèles théoriques de changement de comportements malsains ou d’adoption et de promotion de comportements sains coexistant dans la littérature, « la théorie la plus connue en la matière est le MTC » [44].
Cependant comme le font remarquer Arkowitz et Miller (2008), même s’il y a des similarités entre l’EM et le MTC, ceux-ci ont néanmoins été développés indépendamment. En ce sens, les deux modèles affirment que les gens approchent le changement avec différents niveaux de motivation, que certains processus sont spécifiques selon le stade de changement auquel la personne se trouve (on pensera dans l’EM aux stratégies spécifiques de la phase deux). Les deux modèles suggèrent également que s’il y a une discordance entre l’intervenant et le patient, le changement sera compromis et le patient apparaîtra comme non compliant ou résistant. Dans le MTC, cette discordance se situera entre les interventions thérapeutiques et le stade de changement auquel se trouve le patient, dans l’EM cela renvoie à la dissonance dans la relation d’aide. Dans les deux modèles l’ambivalence est considérée comme normale, celle-ci étant, par exemple, associée au stade de contemplation dans le MTC. Pour finir, nous ajouterons que le MTC présente plusieurs faiblesses mais que malgré tout il « reste très populaire parmi les cliniciens, sans doute du fait de sa validité de façade et de sa simplicité » [45].
3.5.2. L’entretien motivationnel et la théorie de l’auto-détermination
Récemment Markland et al. (2005) ont invoqué la théorie de l’auto-détermination (TAD) de Ryan et Deci (2000) comme un cadre théorique susceptible d’expliquer les processus et l’efficacité de l’EM [46]. Selon Nef (2006), la TAD est une théorie psychologique bien établie de la motivation qui considère différents types de motivation : la motivation autonome et la motivation contrôlée.
Dans la motivation dite autonome, le lieu de causalité de l’action est interne en ce sens que l’individu se considère comme étant à l’origine de son action en tant que cause ou agent. Cette motivation autonome, aussi appelée auto-déterminée, se décline sous deux formes. Premièrement, la motivation intrinsèque dans laquelle la source de gratification, de plaisir, d’intérêts réside dans l’action entreprise en elle-même. Deuxièmement, la motivation identifiée, internalisée, intégrée dans laquelle ce sont les valeurs personnelles qui motivent l’action indépendamment de la gratification de l’action en soi. Dans la motivation contrôlée, à l’inverse de la motivation autonome, le lieu de causalité est externe en ce sens que l’individu ne considère pas que son action est réellement autodéterminée ou désirée. De nouveau, il existe deux formes de motivation contrôlée. Premièrement, la motivation introjetée, qui réside dans le fait que ce sont la compulsion interne, la honte, la culpabilité, l’anxiété qui vont entraîner l’action. Deuxièmement, la motivation extrinsèque, où l’action est déterminée par l’attente de contingences externes telles que des récompenses ou des punitions. Pour finir, la TAD différencie aussi la quantité ou le niveau de motivation de l’action. En ce sens, si un individu pense que le résultat de son action dépend de son implication personnelle, il sera plus motivé qu’un individu pensant que son action et le résultat de celle-ci sont indépendants.
Comme nous l’avons dit plus haut, la TAD permettrait d’expliquer l’efficacité et les processus à l’œuvre dans l’EM. Selon Markland et al. (2005), les interventions d’EM, telles que l’expression d’empathie, la gestion de la résistance, le développement de la divergence et le soutien de l’auto efficacité, procureraient aux fumeurs des conditions environnementales encourageant le développement personnel et le changement de comportement. Les besoins de compétence perçue, d’autonomie d’action et de connexion interpersonnelle qui constituent la base de la régulation et de l’intégration de soi sont satisfaits par l’environnement social proposé par l’EM : le soutien de l’autonomie/auto-détermination, une structure encadrant le changement, l’engagement du conseiller. Pour finir, Miller et Rollnick (2006) ont défini l’action de l’EM comme visant l’accroissement de la motivation intrinsèque au changement, opposant en cela une motivation intrinsèque, provenant du sujet, à une motivation extrinsèque, où la motivation au changement de comportement est imposée par l’extérieur. Par contre, comme nous l’avons vu, dans la TAD, les termes intrinsèque et extrinsèque ne recouvrent pas les concepts de régulation autonome et de régulation contrôlée. En ce sens, Markland et al. (2005) estiment que l’EM pourrait être défini plus adéquatement comme une méthode qui favoriserait la motivation autonome pour le changement plutôt que la motivation intrinsèque pour le changement.
3.5.3. Études portant sur l’efficacité de l’entretien motivationnel
Comme le soulignent Arkowitz et Miller (2008) [47], à l’heure actuelle plus d’une centaine d’études cliniques randomisées sur l’EM ont été publiées, amenant des preuves solides quant à l’efficacité de l’approche dans la prise en charge des difficultés de changement. Il ressort de ces études que si l’EM ne fonctionne pas à tout coup, et que si son efficacité a varié en fonction des études, des lieux, des intervenants, des types de problématique et des patients, il n’en reste pas moins qu’un grand nombre de celles-ci montre significativement un plus grand changement de comportement chez des personnes ayant bénéficié de l’EM comparativement à d’autres n’en ayant pas bénéficié.
En ce sens, l’EM a montré son efficacité avec un large panel de problématiques, de populations, d’intervenants et de territoires. Soulignons également, comme le fait Nef (2006), que l’EM et ses dérivés ont été validés dans le traitement des problématiques de boisson ainsi que dans d’autres problèmes de santé tels que, par exemple, le diabète, l’hypertension, les comportements à risque pour le sida [48].
Ces études montrent également que, par comparaison à des interventions de type éducationnel, didactique ou persuasif, davantage de changements de comportements tendent à apparaître dans les cas où l’EM est utilisé. Arkowitz et Miller (2008) font également remarquer que lorsque l’EM est comparé à d’autres approches actives de traitement, les résultats tendent, dans l’ensemble, à être similaires à ceci près que l’EM semble obtenir des effets en moins de sessions [49].
Allant plus loin, il nous semble intéressant de souligner qu’Hettema, Steele et Miller (2005) [50] ont constaté dans une étude sur l’application de l’EM à différents types de problématiques que, lorsque celui-ci était ajouté à un autre traitement, l’effet obtenu se maintenait davantage dans le temps. Il semblerait donc dans ce cas, selon Arkowitz et Miller (2008), que l’adjonction de l’EM à d’autres méthodes de traitement entraîne « un effet de synergie » [51], chacune des méthodes renforçant l’impact de l’autre.
4. CONCLUSIONS
Comme nous l’avons évoqué, autant l’ambivalence est partie intégrante de tout processus de changement, autant la motivation est-elle également un élément essentiel de ce processus. Nous avons également relevé que la motivation au changement pouvait être perçue comme un processus interpersonnel, impliquant que celle-ci pouvait être influencée par le contexte interpersonnel tout autant qu’elle pouvait également naître de cette interaction. En ce sens, dans le cadre du contexte interpersonnel de la relation d’aide, l’intervenant peut, tout au long de ce processus, de par le style qu’il adoptera, susciter et augmenter cette motivation au changement ou, au contraire, susciter de la résistance. Cette résistance, révélatrice d’une dissonance au sein de la relation d’aide entre fumeur et intervenant, sera le signe pour ce dernier qu’il est temps de changer d’attitude. Nous avons également vu que l’EM est une approche propre à faciliter la communication dont le but central est d’augmenter la motivation intrinsèque [52] au changement. Pour ce faire, l’EM met, entre autres, la personne directement au contact de ses valeurs.
Par ailleurs, l’un des intérêts de l’EM nous semble également résider dans les possibilités d’intégration de celui-ci à une approche thérapeutique. Ceci nous semble être rendu possible précisément par le fait que l’EM n’est pas à considérer comme une autre école de psychothérapie. Cette approche, consistant davantage en une manière d’être avec les gens débouchant sur l’acquisition d’un savoir-faire relationnel, vient compléter les pratiques en vigueur dans différentes approches thérapeutiques et répondre à des questions souvent trop peu traitées dans la littérature : celles de l’établissement et du maintien d’une bonne relation thérapeutique tout au long de la thérapie. Personnellement, la combinaison de cette approche dans notre pratique clinique de thérapeute cognitivo-comportementaliste nous est d’un grand apport, même s’il reste vrai qu’il constitue toujours un challenge de parvenir à leur intégration efficace. Nous rejoignons également les propos de Wilson et Schlam (2004) quant à la prudence requise : comme dans tout cas d’intégration d’un traitement à un autre, il faut s’assurer qu’il n’en résulte pas des points d’incompatibilité.
Cependant, il nous semble que l’EM, de par la non-spécificité de ses techniques, pouvait se positionner, en ces temps de « guerres » inter-orientations, selon nous peu fructueuses pour l’amélioration de la pratique clinique, comme un socle commun inter-orientations. En ce sens, nous sommes convaincus de l’utilité de l’EM au sein d’un grand nombre d’approches et, partant de là, totalement acquis à sa diffusion la plus large. Paradoxalement, il nous semble que cette diffusion risque d’entraîner à terme dans certains cas particuliers, au niveau de « l’accroche » initiale des patients, une moins grande efficacité de l’EM. Car nous pensons que l’expérience profonde pour le fumeur de se retrouver face à un thérapeute qui accueille le présent et ouvre l’espace de l’avenir sans se faire l’avocat véhément du changement est renforcée par le fait que cette attitude ne semble pas être aussi courante, aujourd’hui encore, qu’elle devrait l’être, au sein du monde de la relation d’aide.
Rappelons que la meilleure des interventions ou techniques sera vaine si elle n’est pas acceptée par le patient, de manière telle qu’il s’engage dans le processus de changement que celle-ci implique. En ce sens, la combinaison et l’intégration de l’EM à une approche thérapeutique nous semblent pouvoir trouver leur figuration dans le tableau de Salvador Dali représentant « Gala contemplant la mer Méditerranée » et qui se transforme en portrait d’Abraham Lincoln quand on le regarde de loin. Tout comme dans l’intégration de l’EM à une approche thérapeutique, le résultat est supérieur à la somme des deux éléments.
D’après Christophe de Neckere
Psychologos n° 4/2009 et 1/2010, 01/10/2009
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