– Les fumeurs sont manipulés par les industriels (10/05/2012)
« Cet ouvrage se veut avant tout un cri d’alerte autant qu’un témoignage pour l’avenir », avertit Martine Perez, médecin et journaliste au Figaro.
Interdire le tabac
L’urgence ! est une longue enquête en « Tabagie », avec analyse des coûts, diagnostics médicaux, profils psychologiques des intoxiqués mais aussi des industriels. Quels sont leurs méthodes et leurs réseaux, où sont les complicités, parfois étatiques ? « Alors qu’il tue chaque année 60 000 personnes en France et 5 millions dans le monde, pourquoi le risque sanitaire « tabac » est-il laissé de côté ? Pourquoi n’assiégeons-nous pas les usines de fabrication de cigarettes pour sensibiliser à leurs effets mortifères ? », s’interroge le Dr Perez. « Il s’agit de voir comment la France, à l’instar de la Finlande, pourrait s’engager à l’horizon 2020, par exemple, dans l’interdiction définitive du tabac ». Un livre qui, assurément, fera débat - dont nous vous présentons quelques extraits en avant-première.
Extraits
Sur le plan personnel, je suis libérale. Les interdictions de quelque côté qu’elles surgissent me dérangent le plus souvent. Mais il y a quelque chose d’indécent à entendre tous les jours dans les médias des appels à « sortir du nucléaire », à voir des députés s’opposer fermement aux biberons au bisphénol A, à assister aux arrachages réguliers de plans d’OGM, à lire des réquisitoires incessants contre les antennes-relais ou les pesticides. Et à ne rien faire, ne rien dire face aux 5 millions de victimes du tabac dans le monde. Des morts dont on ne parle pas, pour lesquels il n’y a ni compassion, ni indignation. Et vis-à-vis desquels les groupes si médiatiques censés agir au nom de la santé publique, et qui s’émeuvent souvent de tout et de rien, ne disent pas un mot. Si l’on totalise les cancers, les maladies ou les morts liés à ces produits tant décriés (nucléaire, OGM, bisphénol, antennes-relais...), on n’atteint sans doute qu’une microscopique proportion des millions de décès annuels liés au tabac dans le monde. Il ne s’agit pas de minimiser les risques éventuels du nucléaire ou des 21 pesticides, mais dans la hiérarchie du danger, le tabac vient très loin devant, sans la moindre ambiguïté : le tabac tue dix mille fois plus par an en France que tous ces risques additionnés au cours des trente dernières années. (...) Mettez 16 fumeurs dans une pièce : l’un mourra d’un cancer du poumon, un autre d’un cancer de la vessie, trois par maladie cardio-vasculaire... La moitié des fumeurs mourront des conséquences du tabac. Imaginez qu’aujourd’hui un industriel mette sur le marché un produit récréatif qui causerait autant de morts, il se retrouverait tout de suite en prison avec une peine maximale, ou risquerait la chaise électrique dans les États américains qui n’ont pas aboli la peine de mort.
Les stratégies pour nous faire fumer
D’accord, le tabac provoque des maladies mortelles, plus que tout autre produit licite, mais est-ce une raison suffisante pour l’interdire ? Et si l’usage du tabac ne relevait après tout que de la responsabilité et de la liberté de chacun ? Et si les fumeurs avaient fait un choix libre et consenti de « tirer » sur les cigarettes ? Et s’ils étaient maîtres de commencer et d’arrêter comme bon leur chante ? Mais les fumeurs sont-ils vraiment libres ? Disons-le tout net : non ! Le pouvoir hypnotique et chimique du tabac transforme une soi-disant liberté en dépendance. La liberté d’une consommation, quelle qu’elle soit, c’est de pouvoir l’interrompre quand on l’a décidé. Les fumeurs ne le peuvent plus. Ils sont manipulés, trompés par les industriels, et leur liberté n’est en ce domaine qu’un leurre, une illusion. On sait tout ou presque aujourd’hui du complot organisé pendant des décennies par les cigarettiers pour fabriquer de toutes pièces une épidémie de tabagisme, afin de faire fumer la plus grande partie de la population mondiale (...). Dès la fin des années 1960, en fait, les professionnels du tabac ont organisé de manière délibérée des campagnes de désinformation tous azimuts en réaction aux premières initiatives visant à alerter les pouvoirs publics et les fumeurs des dangers qu’ils encourent. Ces campagnes ont dès l’origine été conduites au niveau mondial. La publication des millions de pages issues des archives des industriels rendue possible grâce au procès contre les cigarettiers américains en 1998, montre que ceux-ci considéraient l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l’ennemi public numéro un. (...) Comment mener à bien et de manière souterraine, cette guerre permanente et invisible ? La solution la plus simple choisie par les industriels était d’avoir des agents secrets au sein du personnel de l’OMS. Dans cet objectif, dans un premier temps, ils ont recruté des anciens fonctionnaires de l’OMS ou de l’ONU afin d’établir des contacts précieux avec les experts de ces institutions. Dans un second temps, pour être plus efficaces, ils ont réussi à placer leurs propres consultants à l’intérieur même de l’Organisation, les rétribuant pour défendre leurs intérêts. Le rôle de ces consultants était de manipuler le débat scientifique public concernant les effets du tabac sur la santé. De manière globale, avec des moyens financiers colossaux, ils ont inspiré les travaux de chercheurs soi-disant « indépendants » pour influencer, discréditer, déformer les résultats de la recherche concernant les risques du tabagisme actif et passif. Ils ont financé des contre-recherches et des coalitions scientifiques uniquement pour critiquer des études sur le pouvoir mortifère du tabac afin de repousser le plus tard possible les mesures législatives. Le résultat le plus spectaculaire de cette stratégie a été la présentation déformée des résultats de l’étude de 1998 sur le tabagisme passif du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). La distorsion par l’industrie des résultats continue encore aujourd’hui de conditionner l’opinion publique et les politiques et de les faire douter. Au cœur de ce réseau d’espionnage aux mille ramifications, quelques personnages troubles ont joué un rôle central. S’ils sont mentionnés nommément dans les documents secrets de l’industrie du tabac, ils persistent à affirmer leur honnêteté intellectuelle...
Les coûts réels du tabac
L’économie du tabac est un univers complexe. Il y a les chiffres bruts, officiels, qui semblent indiquer que le tabac coûte plus cher en termes de santé à l’État qu’il ne rapporte en taxes - une thèse qui rend difficilement compréhensible son maintien sur le marché. Mais, dans cette équation difficile, il faut aussi tenir compte d’une économie souterraine, par le biais de laquelle l’industrie du tabac finance de nombreuses fondations de tous ordres (y compris médicales), s’intéresse aux partis politiques (droite et gauche confondues) et aux think tanks d’obédiences variées, dont l’objectif est le trafic d’influence. L’absence de combat déterminant contre l’industrie du tabac ne peut se comprendre sans ces données occultes, qui représentent une galaxie opaque dont les limites sont difficiles à mesurer. Ce trafic d’influence concerne tous les pays où l’industrie du tabac est présente. Imaginez qu’une armée étrangère massacre toute la population de Quimper. Que ferait l’État ? Il déclarerait immédiatement la guerre. Le tabac tue 60 000 personnes chaque année - soit l’équivalent de la population de Quimper - et en rend malades des dizaines de milliers d’autres. Nous avons tous autour de nous des amis, des parents, des oncles ou des tantes morts d’un cancer du poumon ou d’un infarctus lié au tabac. Mais que fait notre pays ? Loin de déclarer cette guerre salvatrice, il en tire des profits indus. Il taxe le tabac et finit par gagner suffisamment d’argent, si bien qu’il pactise avec l’ennemi plutôt que de lancer l’offensive. L’industrie du tabac a un allié de taille : l’État qui engrange des recettes fiscales dont il est difficile de se passer en période de crise. L’État est devenu lui aussi dépendant du tabac ! Mais celui-ci n’est pas aussi rentable que l’on pense pour l’État. Tout dépend de la manière dont est évalué ce qu’il rapporte et ce qu’il coûte. (...) Les économistes ont élaboré différents modèles et distinguent généralement les coûts directs, comme les dépenses engagées pour soigner les malades du tabac, des coûts indirects, comme les journées de travail perdues et leur indemnisation en raison des arrêts maladie. Selon la manière de calculer et ce que l’on met dans l’assiette « coût du tabagisme », les données disponibles diffèrent. Même en prenant en compte les taxes (13 milliards d’euros), ainsi que les retraites non versées du fait de la mort prématurée, le coût net du tabagisme en 2005 serait de l’ordre de 47 milliards d’euros, qui se répartissent comme suit : environ 18 milliards pour les dépenses de santé, 18 milliards de pertes de productivité, 7,5 milliards de pertes de revenus, 4 milliards pour les prélèvements obligatoires non perçus... D’autres ont même démontré que la réduction du tabagisme est bénéfique au développement économique et à l’emploi. Le tabac détourne en effet une partie des revenus des particuliers des autres secteurs de consommation.
Augmenter le prix du tabac, l’arme la plus efficace
Pour interdire progressivement le tabac en France, il faudra mener dans notre pays une politique fiscale sans concession. L’augmentation du prix du tabac est un levier simple et efficace pour réduire les consommations, bien plus que les campagnes de prévention. (...) Dans le cadre du Plan Cancer, la France avait augmenté les taxes sur le tabac : entre 2002 et 2004, le prix du paquet le plus vendu est passé de 3,6 à 5 euros. Cette taxation a entraîné une chute de 33 % des ventes de cigarettes manufacturées entre 2002 et 2004 et une baisse du nombre de fumeurs. En 1999, 34,5 % de la population fumait contre 30,4 % en 2003. Ainsi, l’augmentation des prix du tabac en France entre 2002 et 2004 a provoqué une réduction de plus d’un tiers des ventes, et c’est de l’ordre de 1,8 million de fumeurs qui se sont arrêtés pendant cette période. L’expérience française démontre que lorsque le prix des cigarettes augmente suffisamment, les ventes baissent, et que lorsqu’il stagne, les ventes font de même. Il est donc contradictoire et illusoire de vouloir diminuer le tabagisme en France, avant de le faire définitivement disparaître, sans accroître la fiscalité des produits du tabac. Pour la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé, l’augmentation du prix est la méthode la plus efficace pour faire baisser les ventes de tabac. Une augmentation de 10 % du prix réellement payé par le fumeur réduit de 4 % les ventes dans les pays développés, de 8 % celles destinées aux jeunes et dans les pays en voie de développement dont le pouvoir d’achat est plus faible. Pour être efficaces, les augmentations de prix doivent être dissuasives. Trop faibles, elles restent sans effet. Les taux supérieurs à 10 % ont démontré leur efficacité en France. Par ailleurs, les effets d’une augmentation de prix s’épuisent et les ventes stagnent au bout de dix-huit mois à deux ans. Il faut donc les répéter régulièrement, par exemple de 10 % par an. Depuis le gel fiscal de quatre ans en 2004, du fait de la protestation des buralistes relayant les arguments de l’industrie du tabac, la politique fiscale sur les produits du tabac s’est limitée à de trop faibles augmentations. Résultat, la part des fumeurs quotidiens a augmenté de 2 points, passant de 27,1 % en 2005 à 29,1 % en 2010. Entendue par le député Yves Bur, dans le cadre de son rapport de mars 2012 sur une nouvelle politique de lutte contre le tabac, la direction de la Sécurité sociale affirme que les rares et insuffisantes augmentations de taxes, décidées au coup par coup au cours des cinq dernières années, n’ont pas fait diminuer les volumes consommés, alors que l’État, lui, est régulièrement soupçonné d’entretenir une forme d’entente avec les industriels...
L’augmentation du prix protège les plus précaires
L’Organisation mondiale de la santé estime que les jeunes, qu’il faut impérativement protéger pour préserver leur avenir, sont trois fois plus sensibles au facteur prix que les populations plus âgées. Les personnes les plus démunies sont, de façon constante, plus enclines à réduire leur consommation ou à s’arrêter complètement face à une augmentation de prix. Dans le cas des jeunes, un coût élevé du tabac est particulièrement efficace dans la prévention : c’est une forte incitation à ne pas commencer, et cela permet d’arrêter une initiation avant l’entrée dans le cycle de la dépendance. L’argument selon lequel taxer le tabac ne ferait qu’aggraver la situation des plus démunis est inadmissible, puisqu’il laisse sous-entendre qu’il vaudrait mieux ne pas l’augmenter pour qu’ils puissent continuer à fumer et se détruire ! Au contraire, les personnes en situation de précarité ont besoin de plus de soutien pour s’arrêter, et la politique fiscale est l’un des bras armés les plus efficaces dans ce but. Une idée souvent avancée par l’industrie du tabac et ses alliés est que l’augmentation des prix est accompagnée d’un accroissement de la contrebande. Il est certain que si l’augmentation notable des prix satisfait le ministre de la Santé qui voit baisser les ventes de tabac, et le ministre des Finances qui, lui, augmente ainsi ses recettes, les cigarettiers observent, eux, au contraire, une baisse de leur chiffre d’affaires. Les documents internes de l’industrie du tabac ont démontré que ceux- ci organisaient eux-mêmes cette contrebande. Dans une perspective de santé publique, c’est l’État qui doit agir franchement, car les augmentations décidées par les fabricants sont organisées pour être sans effet sur la consommation. Ainsi, lors de l’augmentation du 5 août 2007 annoncée comme étant de 6 %, les Gauloises blondes n’ont augmenté que de 2,1 % et les Ducal (les moins chères du marché) que de 4,4 %. Les fumeurs compensent l’augmentation en passant d’une marque de cigarettes plus chère à une moins chère et/ou en passant des cigarettes au tabac à rouler ou aux cigarillos moins taxés sans raison logique évidente. Au total, l’augmentation dissuasive et répétée des prix par un accroissement des taxes de tous les produits du tabac est la méthode centrale d’une politique efficace pour diminuer le tabagisme en France. L’histoire des trente dernières années de lutte contre le tabagisme en France en apporte la preuve, les variations favorables et défavorables du tabagisme y étant intimement liées.
L’interdiction du tabac, un processus en étapes
Il est possible d’interdire le tabac, comme d’autres substances qui le sont déjà, telles que le cannabis, l’héroïne ou la cocaïne, toxiques elles aussi, mais qui provoquent pourtant mille fois moins de morts chaque année. Une telle mesure n’est concevable bien sûr qu’étalée dans le temps avec un plan qui, étape par étape, définira des actions successives pour arriver à une élimination progressive, en dix ans par exemple, comme quelques pays viennent de le faire. Certains contestent cette interdiction. On connaît peu ou prou leurs objections et leurs arguments, exposés avant même que l’éventualité de cette interdiction n’ait été clairement formulée et que la mise en application d’une telle mesure - certes révolutionnaire - n’ait été détaillée. Les uns renvoient à l’échec de la politique de prohibition de l’alcool aux États-Unis dans les années 1920, les autres au danger d’abandonner le marché du tabac aux trafiquants et aux mafias. Sont également invoqués, pêle-mêle, la liberté de l’individu, le droit de vivre dangereusement, la dimension culturelle de l’usage de la cigarette, la nécessité pour toute société de laisser libre cours à des pratiques transgressives pour autant qu’elles ne nuisent pas à l’entourage, l’impossibilité d’enrégimenter toute une population au nom du bien, de la faire vivre dans un univers aussi aseptisé que fictif. Et puis encore : le droit au plaisir (qui n’est pas le dernier des droits de l’homme), même risqué, l’impossibilité de prédire avec une certitude absolue qui mourra d’un cancer du poumon, de crise cardiaque ou de sa belle mort. Et chacun de citer le cas du vieil oncle rétif ou de la grand-mère indocile qui a fumé jusqu’à un âge canonique après avoir enterré le reste de la famille... Bref, l’interdiction du tabac serait dans le meilleur des cas une belle idée, mais irréalisable voire utopique. Quoi qu’ils en disent, le tabac est le plus grand scandale de santé publique du XXe siècle et, si rien ne se passe, du XXIe siècle. La France pourrait aussi être pionnière si elle acceptait d’envisager un plan sur dix ans, au terme duquel le tabac serait banni de la terre hexagonale. Aucun État n’envisage une telle mesure du jour au lendemain, car, une fois la volonté politique affirmée, beaucoup doit être encore fait pour aider les fumeurs à arrêter, empêcher l’initiation des jeunes, réorienter au plan économique tous ceux qui en vivent. Rien n’est impossible. L’Europe a bien réussi à interdire l’amiante, l’absinthe, le bisphénol... »
« Interdire le tabac. L’urgence ! Le plus grand scandale de santé publique », par Martine Perez, Éditions Odile Jacob, 256 p., 17,90 euros. En librairie le 15 mai 2012.
Par Patrice De Méritens lefigaro.fr 10/05/2012
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/05/10/18187-fumeurs-sont-manipules-par-industriels
Tout n’est pas bon dans cet ouvrage ! Exemple : … Les personnes les plus démunies sont, de façon constante, plus enclines à réduire leur consommation ou à s’arrêter complètement face à une augmentation de prix …. Ah bon, on nous a enseigné le contraire ! C’est ça la dépendance, on est hors du domaine de la raison ! Martine Perez ne doit pas être un tabacologue diplômé. A vérifier. (Ndlr)