- Abus de drogues et addictions : quel est le rôle de la transmission dopaminergique ? Apports des études d’imageries fonctionnelles (30/11/2007)
De nombreux neurotransmetteurs — dont le GABA, le glutamate, l’acétylcholine, la sérotonine, et les opioïdes endogènes — ont été impliqués dans les effets addictifs de différents toxiques ou drogues. Parmi tous les neurotransmetteurs, la dopamine est incontestablement celui qui fait l’objet de nombreuses études. Quelle est la contribution de la dopamine : à l’effet à court et long terme favorisé par les drogues qui provoquent une dépendance ; et à la vulnérabilité qui rend — devant une drogue donnée — les uns plus rapidement dépendant que les autres ? Voici les questions auxquelles Volkow et al. (2007), se proposent de répondre, en s’aidant d’une mise en perspective des résultats d’études d’imageries fonctionnelles pratiquées dans le domaine de l’addiction.
La dopamine joue un rôle crucial dans le renforcement lié à la consommation d’une drogue
Rappelons d’emblée que les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale et de la subtantia nigra pars compacta codent pour la "prédiction de l’erreur", c’est-à-dire la discordance entre une récompense attendue et une récompense obtenue. Cet effet de surprise active la décharge dopaminergique et facilite probablement l’apprentissage à partir des erreurs…
Les drogues susceptibles de provoquer une dépendance augmentent la concentration extracellulaire de dopamine dans les régions limbiques, y compris au niveau du striatum ventral (nucleus accumbens). Ainsi, le méthylphénidate comme la cocaïne augmentent la concentration de dopamine via l’inhibition du transporter de la dopamine, alors que l’amphétamine et la métamphétamine favorisent la sécrétion de dopamine des terminaisons dopaminergiques. L’effet de l’exposition à une drogue sur les récepteurs dopaminergiques a été évalué grâce au raclopride, un ligand marqué au carbone 11. L’administration intraveineuse de méthylphénidate augmente la concentration de dopamine striatale et est associée à la perception d’une euphorie, à l’inverse d’une administration orale. En d’autres termes, à l’instar des mécanismes de renforcement liés à la nourriture et au sexe, la propriété renforçante de l’effet de la consommation d’une drogue est clairement liée à sa capacité de promouvoir une sécrétion — phasique — de dopamine mais d’une magnitude et durée supérieures à la normale. En conclusion, l’activité phasique des neurones dopaminergiques est quantitativement corrélée à la prédiction d’erreur positive et reflète la probabilité et la magnitude de cette récompense !
La dopamine joue un rôle dans les effets à long terme des drogues : implication dans l’addiction.
La principale question qui émerge est de savoir comment, du rôle joué dans le renforcement, la dopamine promeut-elle l’addiction ? In fine, par sa propriété renforçante — voire hédonique — la dopamine signale la « salience » d’un événement (par exemple, la consommation d’une drogue), sa valeur motivationnelle et favorise un apprentissage conditionné (vide infra). Ainsi s’établit un cercle vicieux : la consommation de la drogue provoque un renforcement, d’où augmentation de la sécrétion de dopamine striatale, laquelle biaise la motivation vers la consommation de la drogue, d’où un apprentissage (puis une réponse) conditionnée, prélude vers la constitution d’une habituation. De plus, la consommation répétée de la drogue et la sécrétion de concentration supra-physiologique de dopamine, vont progressivement promouvoir des modifications (plastiques) moléculaires et morphologiques au sein des structures limbiques régulées — entre autres — par la dopamine (pour revue, voir Schultz, 2000). L’apport des études en imagerie fonctionnelle a permis de montrer qu’au stade d’addiction, suite à la consommation chronique de la drogue, on observe chez les patients une diminution de la disponibilité des récepteurs dopaminergiques striataux D2 (notamment au sein du nucleus accumbens), ce qui est susceptible de contribuer à un certain degré de désensibilisation et finalement à la perte des propriétés motivationnelles des autres stimuli que la drogue. C’est ainsi que pourrait s’expliquer la perte d’intérêt pour les stimuli naturels de l’environnement, observée chez les patients drogués. A ce stade, la consommation de la drogue est aussi un moyen pour les patients de mobiliser leur système motivationnel pour se sentir bien !
Une étape importante dans les mécanismes de l’addiction : la réponse conditionnée.
La dopamine est impliquée dans la réponse conditionnée, en accord avec son rôle dans la prédiction de l’erreur (vide supra). La réponse conditionnée est la capacité d’obtenir une réponse spécifique devant un stimulus neutre lorsque celui-ci a été au préalable couplé — de manière répétée, c’est le conditionnement — avec un stimulus conditionnant (c’est-à-dire signifiant), par exemple la drogue. Des études expérimentales ont montré que la répétition d’un tel conditionnement s’accompagnait d’une sécrétion de dopamine striatale d’abord dans la portion ventrale (ou limbique) puis dorsale (sensori-motrice), lors de la présentation du seul stimulus neutre. Rappelons que cette portion dorsale du striatum est impliquée dans la gestion des habitudes. Ce schéma d’activation/recrutement progressif du striatum ventral puis dorsal impliqué dans la gestion des habitudes, constitue les bases physiopathologiques susceptibles d’expliquer — en partie — le comportement automatique conduisant les patients à la recherche et la consommation compulsive de la drogue !
Dopamine et dysrégulation des systèmes de la récompense et de régulation du comportement
La diminution précédemment décrite de la disponibilité des récepteurs dopaminergiques D2 chez les patients et le dysfonctionnement du circuit de la motivation ainsi généré, sont corrélés, en absence de la drogue, à un hypo métabolisme des cortex orbito-frontal et cingulaire antérieur, structures limbiques impliquées dans la motivation mais également dans la prise de décision et l’inhibition comportementale. Inversement, en présence de la drogue un hyper métabolisme, dont l’intensité est corrélée au désir de la drogue, est observé au sein de ces structures limbiques. Comme ces structures sont impliquées dans le contrôle inhibiteur et la prise de décision, Volkow et al. avancent l’hypothèse selon laquelle ces anomalies pourraient constituer le corrélat anatomo-physiologique de la consommation compulsive de la drogue et des troubles de la décision et du contrôle inhibiteur (faisant rechercher la consommation de la drogue malgré la conscience de son caractère nocif) observés chez les patients drogués.
La dopamine joue-t-elle un rôle dans la vulnérabilité vis à vis de la drogue ?
Il est maintenant largement établi que nous ne sommes pas tous égaux devant la drogue. Les facteurs de vulnérabilité inclus des facteurs génétique — dont par exemple le polymorphisme, controversé, des récepteurs D2 —, environnementaux (niveau socio-économique défavorisé et le stress) et la présence d’une comorbidité psychiatrique (troubles thymiques). Certains travaux ont examiné la courbe dose/réponse (renforcement) provoquée par l’administration de méthylphénidate. Le niveau de disponibilité des récepteurs dopaminergiques D2 est significativement plus bas chez les patients rapportant une sensation agréable après l’administration de méthylphénidate, alors qu’il est plutôt élevé chez ceux rapportant une sensation désagréable. Des résultats comparables ont été retrouvés chez l’animal qui présente une aversion pour la consommation d’alcool en cas de disponibilité d’un nombre important de récepteurs dopaminergiques. Si tel est le cas, les mécanismes par lesquels la variabilité de la disponibilité à l’état de base, des récepteurs dopaminergiques rend compte de la vulnérabilité à une drogue ne sont pas clairs.
Conclusion
La transmission dopaminergique joue un rôle crucial dans les mécanismes de l’addiction. Les propriétés renforçantes d’une drogue dépendent de l’intensité et la rapidité de la sécrétion de dopamine. Cette sécrétion dopaminergique, notamment au niveau du striatum dorsal, favorise également l’acquisition de comportement conditionné, au cœur de la motivation pour la drogue. Inversement, la consommation chronique de la drogue et la sécrétion supra-physiologique de dopamine ainsi provoquées favorise à long terme une « down-regulation » des récepteurs dopaminergiques D2 au sein des régions limbiques, prélude au dysfonctionnement des cortex orbitaire et cingulaire antérieur, régions limbiques impliquées dans la prise de décision, la motivation, et le contrôle comportemental. D’où des comportements compulsifs, une impulsivité et des troubles du contrôle inhibiteur.
Références :
Volkow N, Fowler JS, Wang G-J, Swanson JM, Telang F.
Dopamine in drug abuse and addiction. Results of imaging studies and treatment implication. Archives Neurology 2007 ; 64(11) :1575-1579
Volkow N and Li Ting-Kai.
Drug addiction : the neurobiology of behavior gone awry.
Nature Reviews Neurosciences 2004 ; 5 :963-970
Schultz W. Multiple reward signals in the brain. Nature Reviews Neurosciences 2000 ; 1(3) :199-207
Par Jean-Luc Houeto (CHU de Poitiers), publication le 30/11/2007
Transmis par Pascale Somero - OFT 13/12/2007