– La dépendance à la nicotine vient de loin (01/05/2007)
Des récepteurs de la nicotine présents dans des formes très anciennes de bactéries, c’est la surprenante découverte [1] qu’a faite Pierre-Jean Corringer, chercheur en neurosciences de l’Institut Pasteur [2] qui vient d’identifier un ancêtre bien lointain de ce type de protéines. « Nous avons longtemps cru que les récepteurs à la nicotine ne se trouvaient que dans certaines cellules du cerveau des espèces les plus évoluées. On vient de découvrir que ces récepteurs ont un ancêtre chez des cyanobactéries primitives [3] », annonce-t-il, enthousiaste.
À partir des séquences génomiques de diverses bactéries, son équipe a pu isoler pour la première fois des protéines homologues aux récepteurs de la nicotine qui sont responsables de la dépendance tabagique dans notre cerveau. Celles-ci ont même été retrouvées chez Gloeobacter violaceus, une cyanobactérie rudimentaire qui vivait sur notre terre bien avant l’apparition des premières espèces animales. Cette découverte inattendue montre l’existence d’un ancêtre bactérien des récepteurs nicotiniques, qui est apparu sous une forme très simple, et dont la structure chimique s’est progressivement complexifiée au cours de l’évolution du cerveau pour gérer les communications neuronales.
Les chercheurs le savent, les récepteurs de la nicotine sont constitués de cinq unités protéiques qui composent une structure en forme de pentagone organisée autour d’un canal ionique central qui traverse la membrane de la cellule. Ce « tunnel » – clé de voûte de la communication intercellulaire – permet à des ions spécifiques d’entrer et de sortir de la cellule. « Lorsqu’on fume, la nicotine atteint rapidement notre cerveau. Celle-ci se lie aux récepteurs spécifiques, provoquant l’ouverture de leur canal ionique, puis l’excitation de neurones particulièrement impliqués dans les circuits liés à la récompense », explique notre chercheur. Et de poursuivre, confiant sur les perspectives de sa découverte : « Le fait que la structure de ces protéines bactériennes soit remarquablement simplifiée ouvre des opportunités uniques pour comprendre les mécanismes moléculaires gouvernant les fonctions de ces récepteurs. En particulier, la technique qui consiste à cristalliser en trois dimensions la protéine pour analyser sa structure à l’échelle atomique est tout à fait réalisable. » En somme, la compréhension de la structure d’un ancêtre mènera, par « homologie », à celle du fonctionnement de nos propres récepteurs et de leur évolution. « Bien comprendre la structure et la fonction de ces récepteurs nous permettra par la suite d’intervenir plus aisément en tout ce qui concerne le développement des nouveaux traitements pour lutter contre le tabagisme. »
[1]. Laboratoire "Récepteurs et cognition" CNRS / Institut Pasteur
[2]. Nature, vol. 445, n° 7123, pp. 116-119, 04 janvier 2007.
[3]. Les cyanobactéries (Cyanobacteria), sont une sous-classe de bactéries. Elles étaient autrefois appelées algues bleues. Elles sont apparues il y a environ 3,8 milliards d’années et seraient à l’origine de l’expansion de la vie sur terre par leur production d’oxygène par photosynthèse.
Contact : Pierre-Jean Corringer, laboratoire « Récepteurs et cognition », Paris, pjcorrin@pasteur.fr
Alissar Cheaïb, Le journal du CNRS n° 208, 01/05/2007